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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1205

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— Vous connaissez ces personnes ? demanda Jacques, qui avait vu son camarade saluer Hélène et son père, assis à l’arrière sur un ballot.

Antoine raconta comment il avait rencontré les voyageurs.

— Ce sont probablement des gens du pays, dit Jacques, car sans cela ils ignoreraient que les remorqueurs prennent des passagers.

— Non, fit Antoine, ils viennent de Paris, et c’est la première fois que la jeune fille voyage. J’ai su cela par son père, avec qui j’ai causé dans le wagon.

— En tous cas, ils ne ressemblent guère à des Parisiens. Elle est singulièrement vêtue. Voyez donc sa robe. Je connais un fauteuil qui est habillé de la même façon.

Sans qu’il sût pourquoi, cette plaisanterie fut désagréable à Antoine ; aussi n’y donna-t-il pas cette réplique du sourire qui est un encouragement offert à celui qui plaisante.

— Mais à propos, reprit Jacques, puisque ces voyageurs étaient seuls avec vous dans le wagon où vous avez laissé votre album, ils pourraient peut-être vous en donner des nouvelles.

— Ils l’ont vu dans mes mains et savent qu’il m’appartient. S’ils se sont aperçus de mon oubli, ils m’en parleront sans doute.

Au même instant, les deux ou trois matelots qui composaient l’équipage de l’Atlas détachèrent les amarres, et le remorqueur vira lentement pour aller prendre le milieu du fleuve.

— Route ! cria le capitaine au mécanicien. — Les grandes roues commencèrent à se mouvoir, et le bateau, qui partait sur lest, fila avec assez de rapidité pour qu’on eût bientôt perdu de vue la flèche aiguë de Saint-Ouen. Pour échapper aux scories que la cheminée du remorqueur faisait pleuvoir sur leurs têtes, le père et la fille quittèrent l’arrière du bateau, où se trouvaient Antoine et Jacques, qui causaient en fumant avec le capitaine. — Si nous allons ce train-là, disait celui-ci, nous entrerons au Havre à trois heures, à moins qu’il ne se rencontre en rivière des navires qui réclament le remorquage, ce qui retardera nécessairement notre marche.

— Pensez-vous que la mer soit calme quand nous y arriverons ? demanda le voyageur à la longue redingote. Et il ajouta plus bas, en désignant Hélène : — C’est à cause de ma fille que cela m’inquiète, c’est la première fois qu’elle s’embarque.

— Eh ! eh ! fit le capitaine, nous avons une grande marée aujourd’hui, et si le nord-ouest s’en mêle, comme cela en a l’air, nous pourrions bien danser un peu quand nous aurons passé la barre.

Cette nouvelle, qui fut rapportée à Hélène par son père, parut préoccuper la jeune fille.