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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1230

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— Vous avez dormi.

— Non, répondit Jacques, j’ai cherche la chanson qui me tracassait tant.

— Et vous êtes parvenu à la retrouver ?

— Oui, mais pas dans ma mémoire ; je l’ai trouvée par terre,… sur le pont,… à la place où était Mlle Bridoux quand elle s’est retournée pour m’écouter chanter.

Et Jacques montra à son ami une feuille de papier sur laquelle la chanson était entièrement transcrite.

— Ce n’est pas l’écriture d’Olivier, dit Antoine, comme se parlant à lui-même.

— Qui cela, Olivier ? demanda Jacques.

— L’auteur de cette chanson, un de mes amis, et s’il faut tout vous dire, acheva Antoine, je crois que c’est le cousin de Mlle Bridoux.

— Allons donc, s’écria le sculpteur en faisant claquer sa main, j’étais bien sûr que la chanson l’intéressait. Son cousin l’a faite pour elle ; c’est clair. — Au fait, voulez-vous que je vous dise mon avis ? Ce petit papier-là a une odeur d’amourette, ajouta le sculpteur en secouant la chanson.

— Vous avez peut-être raison, fit Antoine ; cependant Olivier ne m’a jamais dit qu’il songeât à sa cousine.

— En tous cas, sa cousine songe à lui, puisqu’elle emporte ses œuvres en voyage, reprit Jacques. Cependant cette écriture parait fraîche ; on dirait que ces vers ont été copiés récemment.

— C’est vrai, dit Antoine.

— Attendez donc, dit le sculpteur, et fouillant dans sa poche, il en tira une fouille de papier à lettre, toute froissée. C’est le papier que j’ai demandé hier soir à l’aubergiste de La Meilleraye, quand j’ai eu épuisé mon cahier de cigarettes ; vous vous rappelez ?

Antoine inclina la tête.

— Eh bien ! comparez, continua son ami : ce papier est le même que celui sur lequel se trouve la chanson, d’où je conclus qu’elle a été écrite hier ou ce matin par Mlle Bridoux.

— Et moi, fit Antoine, je sais pourquoi elle n’a pas voulu me rendre mon album. Olivier y avait écrit sa chanson ; je me le rappelle.

— Est-ce que la mer vous fait déjà de l’effet ? dit tranquillement Jacques. Vous changez de couleur.

— Nous sommes en mer ? s’écria Antoine.

— A peu près, répondit son ami. Nous passons la barre.

Antoine courut à l’avant du remorqueur, afin de mieux voir. Sur la gauche, au loin, on apercevait vaguement les maisons d’Honfleur ; sur la droite, la flèche aiguë de la cathédrale d’Harfleur découpait