Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme sa vie. Le poète chante les femmes et le wiskey, il chante la pauvre brebis Mailie; mais son inspiration devient la voix même du génie écossais quand il chante la Calédonie, quand dans le Samedi soir dans la chaumière il peint la veillée rustique où les paysans prient en lisant la Bible et répétant ensemble : « O Écosse, mon cher sol natal, puissent longtemps tes robustes enfans, adonnés aux travaux mystiques, jouir de la santé, de la paix et du doux contentement ! » Il y a ici évidemment une inspiration bien différente de celle du poète méridional, et qui semble jaillir de l’âme populaire de l’Écosse comme la ballade de Jean grain d’orge.

Et Burns, lui aussi, avait eu à passer par tous ces pièges qui se retrouvent souvent dans la vie de tout poète du peuple. Il s’était rendu à Edimbourg, où on l’appelait l’Ossian de la plaine. Là, les écrivains les plus renommés l’avaient attiré à leurs banquets. Les salons des grands se le disputaient; les lords admiraient l’originalité de ses saillies, et les fières ladies s’émerveillaient de sa naïve éloquence. La duchesse de Gordon, l’invitant à souper, prenait son bras pour aller à table. « Il fut fêté, adulé et caressé, » dit l’historien littéraire Allan Cuningham. Burns resta près d’un an à Edimbourg : il n’était plus déjà la nouveauté, on avait cessé de l’admirer. Le plus sage était celui qui lui avait dit dès le premier jour : « Retournez au village, retrouvez vos sillons et vos prairies, et sauvez votre indépendance. » Et de fait, qu’iraient chercher ces poètes populaires sur un autre théâtre ? qu’y trouveraient-ils qui ne leur fût étranger : monde, habitudes, préoccupations ? Leur génie a besoin de l’atmosphère natale avec laquelle il s’accorde et par laquelle il s’explique. C’est ce que Jasmin sentait si bien, lorsqu’un jour, avec un rare bon sens, il demandait à quelqu’un de l’aider de bonnes raisons pour résister à des amis enthousiastes qui lui donnaient des conseils en grand et l’engageaient à venir se faire éditer à Paris : « Dites-moi, ajoutait-il, qu’il faut que cela parte d’Agen comme nos prunes. »

Il y a dans Jasmin et dans Burns, si différens sous d’autres rapports, un trait essentiel commun : c’est que, poètes du peuple, ils n’ont ni l’un ni l’autre cherché à peindre les côtés haineux et vulgaires du peuple. Il semble aujourd’hui que pour être un poète populaire il faille envenimer les plaies du peuple, irriter sa misère, enflammer son envie, renouveler avec lui la tentation satanique, en le mettant au plus haut sommet et en lui disant : Tout ce que tu vois est à toi! — Et à quoi arrive-t-on ainsi ? A mettre en vers des déclamations toujours les mêmes, les éternels lieux communs de l’esprit de révolution. Ce n’est point là le caractère des poètes vraiment populaires, tels qu’ils peuvent exister de notre temps. Ceux-ci peignent le peuple dans sa vie simple et rude, dans ses labeurs, dans