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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1280

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mais le moment n’a pas été jugé parfaitement opportun : le gouvernement s’est arrêté en présence de la situation générale de l’Europe, qui ne lui permettait pas de diminuer ses ressources. C’est déjà une assez grande hardiesse de proposer une opération comme la conversion dans un instant semblable et les adversaires même du cabinet de La Haye lui ont rendu cette justice. C’est peut-être d’ailleurs à cause de cette hardiesse, que le projet rencontre d’assez vives contradictions dans les chambres. D’ici à peu sans doute, cette question sera vidée devant le parlement hollandais, qui se trouve placé entre la crainte d’aller trop vite dans les réformes de ce genre et le goût naturel qu’on a toujours à diminuer les charges publiques. ch. de mazade.



LES THÉATRES

Parmi les divers indices que nous recueillons au passage, et qui pourraient servir un jour à l’histoire du théâtre contemporain, il en est un qui peut-être les résume ou les explique tous, et qui se rattache au mouvement social tout entier. Dans la société, que voyons-nous ? L’inégalité des conditions, ce texte des plaintes éloquentes de Jean-Jacques, tend sans cesse à s’amoindrir, et les différentes classes s’infiltrent, pour ainsi dire, l’une dans l’autre, au lieu de rester superposées par couches distinctes. Il en est de même au théâtre : les supériorités, les délimitations, si solidement établies autrefois, n’y tiennent presque plus qu’au fil léger des souvenirs, et s’effacent de jour en jour sous une sorte de niveau commun. Soit que les scènes secondaires aient profité pour s’élever des nouveaux élémens de succès que leur assuraient les transformations du goût public, soit que les scènes supérieures, pareilles à ces gentilshommes qui dérogent pour refaire leur fortune, aient jugé prudent de s’abaisser pour retrouver ce succès qui s’éloignait d’elles, un moment est arrivé où, à la place de différences nettes et tranchées, nous n’avons plus vu que de fugitives nuances. Là comme ailleurs, les hiérarchies ont disparu ; le déclassement s’est opéré de lui-même, par la seule force des choses, par cette loi générale de l’esprit humain qui ne lui permet pas de maintenir longtemps au rang de ses plaisirs ou de ses études ce dont il ne peut plus vérifier la justesse, renouer la tradition et saluer le modèle. L’aristocratie, — pour parler le mauvais style moderne, — s’est exilée du théâtre en même temps que des sphères officielles et mondaines, si bien qu’un beau soir, un jeune premier du Gymnase a pu débuter à la Comédie-Française dans le difficile emploi des Molé et des Fleury, et ne s’y trouver, après tout, ni inférieur, ni dépaysé.

Telle est l’explication toute naturelle de l’intérêt qu’éveillent en ce moment les débuts de M. Bressant, et que ranimait l’autre soir la reprise du Verre d’eau. Nous entendions, le jour des Femmes savantes, quelques habitués se demander si le nouveau venu serait un Clitandre convenable, digne des grandes traditions de la maison de Molière. Peut-être n’était-ce pas là la vraie question : il s’agissait tout simplement de savoir s’il serait un Clitandre suffisant pour les Philamintes et les Armandes auxquelles il allait donner la réplique, et surtout pour le public qui s’apprêtait à l’applaudir. Il y a deux