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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/214

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comme on les appelle, séparées par un abîme de l’ordre régulier et paisible où elles avaient vécu, entrent alors dans ces sphères troublées qu’elles pressentaient de loin et où les appelaient leur vocation et leurs instincts. Elles y entrent en cachant sous un sourire hautain la plaie de leur orgueil et le regret de leur passé. Enrôlées volontaires de l’abaissement et du désordre, on dirait qu’elles se plaisent à déchirer de leurs mains frémissantes les derniers lambeaux de leur noblesse reniée, de leur dignité déchue. Grâce à cette verve d’immolation, à cette fièvre de sacrifice, elles aussi deviennent des puissances dans cette société équivoque qui s’enrichit des épaves de la bonne compagnie comme des conquêtes de la mauvaise. Ajoutez-y, dans un brillant pêle-mêle, des artistes incompris, des grands hommes méconnus, des diplomates chamarrés de rubans problématiques, des étrangers venus à Paris pour s’amuser à tout prix, et cherchant leur bien où ils le trouvent, — et vous aurez ce monde bigarré, frelaté, paradoxal, vrai pourtant, où doivent naître et s’épanouir des héroïnes telles que Diane de Lys.

Diane de Lys, la dernière de ces légendes murmurées par les échos des salons aux échos de la Bohême, n’est pas, à beaucoup près, une œuvre méprisable; elle possède la qualité la plus essentielle de tout ouvrage dramatique, la vie. Que cette vie soit fébrile et comme traversée de miasmes, qu’il se mêle à cette curiosité un peu de ce malaise qu’éprouve tout honnête homme en face de mœurs douteuses et de personnages suspects; qu’à dater du troisième acte, la pièce trahisse sa parenté avec la lamentable famille des Antonys, cela ne fait pas doute; ce que nous voulons constater, c’est qu’il y a çà et là, dans cette œuvre violente, des choses vraies, prises sur le fait, hardiment fouillées dans ce monde mi-partie de boudoir et d’atelier par une main qui paraît en connaître les ressorts et les secrets. N’aurions-nous à relever dans Diane de Lys que la figure épisodique du vieux rapin, — la scène où Diane, ayant, par étourderie ou par ennui, accordé un rendez-vous au jeune diplomate, dissipe une à une toutes les illusions de sa fatuité, — et le dialogue monosyllabique et glacé où les deux époux se disent adieu en se séparant pour quelques jours, ce serait assez pour donner à ce drame une physionomie originale. Il ne s’agit pas — avons-nous besoin de le dire ? — de discuter la vraisemblance des moyens, la logique des caractères, la moralité de l’œuvre, mais seulement de signaler les affinités profondes qui unissent la pièce de M. Dumas fils aux passions qu’il a voulu peindre, aux types qu’il a observés, au milieu où il a vécu.

À ce succès très fâcheux, mais très réel, nous voudrions pouvoir opposer un succès plus littéraire, l’heureuse tentative d’un grand talent entrant franchement dans une voie d’observation vraie, et se mesurant avec les mœurs et les caractères de son temps. Le drame de Mauprat n’a pas répondu aux espérances que donnaient le nom de l’auteur et le souvenir du magnifique récit, encore présent, nous en sommes sur, à la mémoire des lecteurs de cette Revue. Mme Sand, dans ce qu’elle a écrit jusqu’à présent pour le théâtre, a obéi à des inspirations bien diverses. Tantôt, comme dans François le Champi, Claudie et le Pressoir, elle y a révélé ses prédilections pastorales et agrestes, mais en perdant forcément, dans ce cadre étroit et d’une réalité impérieuse, tout ce que ses admirables qualités de paysagiste avaient ajouté de charme à ses récits primitifs; — tantôt, comme dans tes Vacances de Pandolphe,