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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/247

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La gouvernante des Pays-Bas, Marguerite, disposa donc tout pour envoyer en Allemagne ce prince, arrivé depuis quelques mois auprès d’elle, à Malines; mais, avant de prendre une aussi grave détermination, elle la soumit à son neveu, le roi catholique, en l’engageant à y consentir. Elle lui adressa, le 20 février, une lettre, que signèrent avec elle ses fidèles conseillers, Philippe de Clèves, Ch. de Croy, Henri de Nassau, A. de Lalaing, Jean de Berghes, pour lui proposer de porter à sa place l’archiduc à l’empire[1]. En recevant cette lettre, loin de se laisser atteindre par le découragement de ceux qui l’avaient écrite, il repoussa leur conseil avec autant de hauteur que de promptitude. Le frère qu’il avait éloigné des Pyrénées comme trop cher aux Espagnols, il ne souffrit point qu’on le présentât au-delà du Rhin comme devant lui être préféré par les Allemands. Il prétendit établir, sous sa plus vaste forme, la domination qui avait été lentement préparée à la maison d’Autriche, dont il était l’aîné et dont il voulut rester le chef. C’est ce qu’il signifia à Marguerite, sa tante, et à Ferdinand, son frère, par ses dépêches du 5 et du 6 mars, où il laissa éclater la vigueur précoce de son opiniâtre caractère, et où, avec une grandeur surprenante de vues, il montra les desseins qu’il exécuta plus tard.

Il y disait que Ferdinand n’avait rien de ce qu’il fallait pour acquérir l’empire et pour en soutenir le fardeau, que ses poursuites ne se fonderaient ni sur la désignation de leur aïeul Maximilien, ni sur les engagemens des électeurs, comme les siennes, qu’elles seraient aussi déplacées que dangereuses, que les favoriser serait de sa part perdre l’honneur et exposer de plus leur maison, conformément aux désirs des Français, qui voulaient en diviser les forces et faire un tiers empereur en cas qu’ils ne le pussent estre[2]. Insistant sur ce point, il ajoutait avec une prévoyance politique et dans un langage coloré : « Ce seroit pour desmembrer tous les pays et seigneuries d’Autriche, mettre division entre nous et nostre frère, séparer la trousse des puissances et seigneuries que nos prédécesseurs nous ont laissée, afin qu’icelles désunies et séparées, l’on pust plus facilement rompre les flèches de nostre commun pouvoir et destruire entièrement nostre maison[3]. »

  1. Lettre du roi de Castille Charles, du 5 mars, dans laquelle est mentionné le contenu de celle de Marguerite et de ses conseillers. Archives des affaires étrangères, correspondance d’Espagne, vol. de 1235 à 1594, f° 134. sqq. C’est une copie faite sur l’original déposé à la chambre des comptes de Lille et vérifiée par Godefroy, garde des chartes de cette chambre; elle ne se trouve point dans les Négociations diplomatiques de M. Le Glay.
  2. Lettre du roi Charles à Marguerite, du 5 mars.
  3. Instructions du 5 mars données au sieur de Beaurain. Ces instructions sont publiées dans les Négociations diplomatiques de M. Le Glay, t. II, p. 304.