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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/276

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avenir. Rien n’est donc plus important, même dans des temps de doute et d’obscurité, que l’étude attentive de l’histoire nationale. S’il nous est impossible de bien comprendre vers quel but marche aujourd’hui l’histoire de la France, si brusquement jetée hors de la voie où nous la croyions engagée sans retour, il nous est utile encore d’étudier les faits passés, pour nous apprendre dans quel sens nous devons diriger nos efforts ou du moins nos vœux. En examinant nos fautes, nous pouvons apprendre à nous corriger. En regardant par où nous avons péri, nous pouvons nous préparer à revivre. Que ce soit là notre excuse, si nous nous montrons moins réservé que M. Thierry, et si, en reprenant à sa suite les points capitaux de notre histoire, nous essayons de faire sortir de cet examen quelques considérations, applicables peut-être, au besoin, à notre situation présente.

L’historien du tiers-état a eu, selon nous, pleinement raison de faire du développement de cet ordre le centre et comme le pivot de tous ses travaux historiques. Des trois ordres qui composaient l’ancienne France, la noblesse, le clergé et le tiers-état, le dernier est assurément celui dont le rôle est, sinon toujours brillant, du moins constamment grandissant. Le tiers-état est la partie ascendante de la nation en France : il n’a cessé de croître jusqu’au jour où, absorbant tous les autres élémens, il est devenu ce que nous le voyons, c’est-à-dire la nation entière. Toutes nos révolutions ont eu pour fin dernière les progrès de l’influence du tiers-état ; toutes nos agitations intérieures ont commencé par ses réclamations et fini par ses conquêtes. C’est le refrain, souvent glorieux et parfois un peu monotone, qui commence et termine chacune de nos périodes historiques. M. Thierry le démontre à merveille, et voici comment (toujours en consultant ses admirables résumés) on voit les événemens se dérouler avec la régularité et la certitude d’une véritable loi de la nature.

Toutes les fois que le tiers-état veut monter d’un degré dans l’échelle sociale au bas de laquelle il était placé, toutes les fois qu’il veut se faire ouvrir une des portes qui lui étaient fermées, c’est d’abord un droit commun qu’il réclame, c’est une liberté civique qu’il revendique. Il monte lui-même seul, tantôt par la voie de l’insurrection, tantôt par le petit nombre de procédés légaux qui lui étaient ouverts, à l’assaut du bien qu’il cherche, et que les ordres privilégiés lui disputent. D’ordinaire il l’obtient sans trop d’efforts. À la faveur de l’anarchie générale ou des malheurs publics, le tiers-état se fait écouter et rendre justice. Une fois en possession du droit réclamé, il en use mal, sans prudence, sans esprit de mesure, de suite et de persévérance. La liberté entre ses mains tourne en désordre, et le droit dégénère en abus. Faible d’ailleurs dans la conduite quotidienne autant qu’irréfléchi dans les jours d’élan, tour à tour mou et