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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/288

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les cajoleries, fainéantises et baguenauderies de cours, de s’appliquer aux choses vertueuses, et, par des occupations sérieuses et intelligence d’affaires, se rendre dignes de leur naissance et capables d’être par vous honorablement employés, et que, pour faciliter ce dessein, je ne convie ceux de ces qualités qui ont des brevets de se rendre plus assidus aux conseils que nous tenons pour l’état et les finances, les assurant qu’ils y seraient les mieux venus. »

Nous croyons trouver dans ces lignes le caractère distinctif de la politique de Henri IV et le secret de la popularité universelle que son souvenir a conservée bien longtemps après sa mort. Henri IV cherchait à réunir les deux ordres de la noblesse et du tiers-état pour les faire concourir à l’œuvre commune du bien public, tandis que les rois de France ses prédécesseurs et ses successeurs cédèrent trop souvent à la tentation d’entretenir leurs sourdes luttes pour s’élever au-dessus de leurs rivalités et de leurs faiblesses. Les rois de France d’ordinaire trouvaient commode de maintenir entre les deux ordres un fossé à peu près infranchissable, en leur confiant des fonctions différentes inégalement éclatantes et inégalement utiles. Il leur convenait assez que l’un eût les armes et l’autre la robe pour apanage, et qu’on vît habituellement à leurs côtés des maréchaux de qualité et des ministres de bas étage; ils aimaient à faire de la noblesse une armure brillante, et du tiers-état un instrument souple. La fin dernière de cette politique, qu’on a beaucoup admirée, et dont plusieurs écrivains même révolutionnaires ne font pas difficulté de leur faire honneur, a été de partager la nation entre des gens de guerre et des commis, entre une aristocratie sans consistance et une bourgeoisie sans indépendance, entre des courtisans frivoles et des ministres serviles, et de faire planer une monarchie sans contrôle sur une société sans institutions. Il était possible, suivant nous, de se proposer un meilleur but. Le grand cœur du chef de la maison de Bourbon avait, ce semble, conçu pour la monarchie et pour la France une plus honnête, une plus généreuse, une plus habile ambition. Si Sully avait réussi à rattacher la noblesse de France aux emplois civils et politiques, si sur ce terrain commun des conseils du roi ou des cours souveraines les anciens seigneurs féodaux, à moitié dépouillés déjà de leurs privilèges, se fussent habitués à rencontrer familièrement l’élite du tiers-état devenue dépositaire d’une partie de la puissance royale, — si la couronne des ducs et pairs s’était accoutumée à se trouver de niveau avec le bonnet carré des conseillers-maîtres et des premiers présidens, — de ce mélange de deux races, de deux natures de qualités et de traditions différentes, on aurait pu voir sortir un caractère national original et complet : de deux ordres perpétuellement ennemis, on aurait pu faire une seule France.