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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/297

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les terrains défrichés. Faute d’institutions et d’occupations régulières, ce fut sous l’étendard d’une abstraction philosophique que vinrent se ranger tous les bons et tous les mauvais sentimens du pays, les prétentions de vanité personnelle comme les désirs de réforme, l’amour de soi-même et l’amour du bien public, la soif de commander et le goût honorable de vivre libre.

La royauté fut de bonne heure seule en butte aux attaques de toutes ces passions combinées. Demeurée seule puissante, elle parut seule responsable. Source de toutes les grâces, Elle devint le point de mire de toutes les attaques; elle fut seule aussi pour se défendre. Dès le lendemain du jour où la lutte fut engagée, l’appareil qui l’environnait disparut comme une décoration de théâtre, et elle resta à découvert devant l’opinion. Elle jeta vainement autour d’elle des regards supplians pour appeler ses anciens sujets à son aide. Épars, isolés, sans habitude ni de se concerter, ni de s’exposer, ni d’agir, les bons serviteurs eux-mêmes s’attendrirent sur son sort sans se remuer. Accoutumés à la respecter et à lui obéir, ils ne la comprirent plus quand elle leur demanda de la défendre. Ils ne connaissaient que sa voix de commandement : ils méconnurent son cri d’alarme. Elle succomba devant l’explosion de toutes les vanités qu’elle avait longtemps fomentées et qu’elle ne pouvait plus apaiser, devant le réveil de tous les sentimens d’indépendance qu’elle avait refoulés dans les cœurs, sans trouver aucun appui chez des serviteurs avilis, en qui elle avait brisé de ses mains tout esprit et tout courage de résistance.

Qu’il y eût eu en France, à ce moment fatal, une institution quelconque, vivante et solide, en dehors de la royauté; — qu’à l’une et à l’autre des époques de son développement, le tiers-état, au lieu d’essayer, d’abuser et de se lasser de tout, eût fondé pour lui-même une véritable représentation libérale, nous osons affirmer qu’on n’aurait jamais vu ce spectacle, sans pareil dans le monde, de l’éboulement simultané d’une société tout entière. Une institution de liberté quelconque, — des communes, des états-généraux périodiques, des parlemens réguliers, — si elle fût entrée de bonne heure dans les mœurs du pays, aurait à la fois servi d’organe aux désirs légitimes de la nation et de rempart à la monarchie en péril. Une institution de liberté ancienne et régulière aurait ouvert aux citoyens une autre voie que la faveur royale pour monter à la renommée, et le monarque, soulagé d’une partie de son fardeau, n’aurait plus compté autant d’ennemis qu’il y avait de prétentions trompées et de mérites inconnus. Une institution de liberté ancienne et régulière, contenant l’esprit d’opposition dans des limites fixées, l’eût empêché de s’égarer dans les champs sans bornes de la politique spéculative. Avec des