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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/344

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à la fois une leçon de bon goût aux avocats et une leçon de bon sens aux juges, en raillant l’éloquence ampoulée des uns et l’incroyable naïveté des autres.

Une fois admis devant la justice comme accusés, les animaux pouvaient encore, sans inconséquence, être admis comme témoins. Aussi les voit-on paraître en cette qualité dans les jugemens barbares de plusieurs peuples de l’Europe. En Suisse, quand un homme, vivant seul et sans serviteurs, était attaqué en trahison après l’Ave Maria, et qu’il parvenait à tuer l’agresseur, il devait prouver qu’en donnant la mort il n’avait fait que se défendre, et, pour établir la légitimité du meurtre, il prenait ou son chien, ou sa chatte, ou son coq, se présentait avec eux devant le juge, et, après avoir prêté serment en invoquant leur témoignage, il était déclaré absous. Nous ne parlerons point ici de la célèbre aventure du chien de Montargis, où cet animal paraît tout à la fois comme dénonciateur et comme champion d’un duel judiciaire, parce que cette aventure est très évidemment controuvée; peut-être en trouve-t-on l’origine soit dans l’histoire du chien dont parle Plutarque, qui attaqua, en présence de Pyrrhus, les meurtriers de son maître, et fut la cause première de leur condamnation, soit dans la vie de sainte Hadeloge, où l’on voit pareillement un chien révéler des assassins[1]. Nous ferons remarquer seulement que cette légende ne faisait que consacrer, par un fait saisissant, la croyance généralement accréditée qu’un assassin pouvait trouver dans les animaux eux-mêmes des accusateurs et des juges, croyance utile et respectable, qui inspirait une terreur salutaire, et plaçait pour ainsi dire la vie des hommes sous la sauvegarde des hôtes inintelligens de son foyer.


V. — LES ANIMAUX DANS LA PHILOSOPHIE MODERNE.

La fin du XVIIe siècle marque dans la science, la littérature et les arts, l’extrême limite du sujet complexe et varié que nous avons essayé de mettre en lumière. À cette date, les traditions du moyen âge sont évoquées pour la dernière fois par les héraldistes. Le rêve s’évanouit, et de tant de récits merveilleux, il ne reste qu’un souvenir presque effacé dans la mémoire des hommes, et quelques pages oubliées dans de vieux livres. Dégagée de tous les faits apocryphes, l’histoire des animaux n’appartient maintenant ni à la poésie, ni à la morale, ni à l’enseignement religieux, mais à la science la plus positive et à l’observation la plus rigoureuse. Le peuple, et surtout le peuple des campagnes, qui reste plus longtemps sous le charme de l’ignorance et se plaît toujours aux merveilles, le peuple seul

  1. Bolland, 2 febr., vita sanctœ Hedelogœ, p. 308.