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prononçait ces paroles ; lorsqu’il se tut, elle baissa lentement la tête sur sa poitrine, et des larmes silencieuses tombèrent de ses yeux. M. de Vlierbecke lui prit la main en disant d’une voix douce : — Je savais, Lénora, que j’allais t’attrister ; mais il faut t’habituer à l’idée de cette séparation.

La jeune fille releva la tête et dit avec résolution : — Eh quoi ! mon père, vous croyez Gustave capable de remplir votre vie de chagrins, de me séparer de vous ? mon père, vous ne le connaissez pas ! vous ne savez pas combien il vous respecte et vous aime ! Vous ne savez pas quels trésors de bonté et d’amour renferme son cœur !

M. de Vlierbecke attira vers lui sa fille émue, et posa sur son front un doux baiser. Il songeait à la calmer par des paroles consolantes ; mais tout à coup Lénora se dégagea de ses bras, souriante et tremblante à la fois. Le doigt tourné vers la fenêtre, elle semblait écouter un bruit qui s’approchait.

Le trépignement des chevaux et le roulement des roues sur le chemin firent comprendre à M. de Vlierbecke ce qui était venu si soudainement troubler sa fille. Son visage aussi s’anima d’une expression de joie ; il sortit à la hâte, et atteignit le seuil au moment où M. Denecker descendait de voiture.

Le négociant semblait de très bonne humeur, et serra cordialement la main du gentilhomme : — Ah ! monsieur de Vlierbecke, dit-il, je suis enchanté de vous revoir ! Il paraît que mon neveu a su mettre mon absence à profit.

Tandis qu’il était introduit dans un salon avec les politesses d’usage par le gentilhomme, il frappa familièrement sur l’épaule de celui-ci, et dit en riant :

— Ah ! ah ! nous étions déjà bons amis, nous allons être compères, je l’espère du moins. Ce coquin de neveu n’a pas mauvais goût, il faut en convenir, et il chercherait longtemps avant de trouver une aussi aimable et aussi jolie femme que Lénora. Voyez-vous, monsieur de Vlierbecke, il faut que ce soit une noce dont on parle encore dans vingt ans !

Ce disant, ils étaient entrés dans le salon et s’étaient assis. Le gentilhomme, bien que son cœur battit d’une joyeuse émotion, n’osait croire ce que semblait lui dire le ton de M. Denecker, et regardait celui-ci d’un œil plein de doute. Le négociant reprit : — Eh bien ! il paraît que Gustave aspire après son bonheur avec une ardente impatience ; il m’a supplié, à genoux, de hâter la chose. J’ai vraiment pitié du jeune fou ; c’est pourquoi j’ai laissé chômer, pour un jour encore, maison et affaires, et j’accours pour en finir. Il m’a dit du moins que vous aviez donné votre consentement. C’est bien fait de votre part, monsieur ; j’ai songé aussi à ce mariage pendant mon voyage, car j’avais remarqué que les flèches de l’amour avaient percé de part en part le cœur de mon neveu, mais ce n’était pas sans appréhension de vos intentions. L’inégalité du sang, — une idée du temps passé, — eût pu parfois vous arrêter…

— Ainsi Gustave vous a dit que je consentais à son mariage avec Lénora ? demanda le gentilhomme.

— M’aurait-il trompé ? dit M. Denecker avec étonnement.

— Non ; mais ne vous a-t-il pas fait une autre communication qui doit vous sembler d’une haute importance ?

Le négociant hocha la tête en souriant, et reprit d’un ton de plaisanterie :

— Ah ! ah ! quelles folies vous lui avez fait croire ; mais entre nous deux ce sera bientôt éclairci. Il est venu me conter que le Grinselhof ne vous appartient pas, et que vous êtes pauvre ! Vous avez trop bonne opinion de mon