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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/428

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 janvier 1854.

Nous assistons, depuis un an bientôt, à un spectacle véritablement étrange. Une de ces questions qui, sous l’apparence d’un différend local et restreint, affectent profondément l’équilibre politique du monde, s’élève tout à coup : quelle est la première pensée des gouvernemens ? quelle est leur attitude en présence de la crise qui s’ouvre ? Leur première pensée est pour la conservation de la paix du continent. Comme en définitive ils ne peuvent se dissimuler la gravité des choses, ils emploient leur sagesse et toute l’habileté de leur diplomatie à modérer les prétentions d’une part, les résistances de l’autre, à adoucir les antagonismes, à prévenir les chocs. Tant que l’épée n’est pas hors du fourreau, ils s’efforcent d’étouffer le germe d’un conflit armé ; quand l’épée est sortie du fourreau, ils s’efforcent encore de circonscrire la lutte d’abord, de la suspendre ensuite, et de la dénouer par des négociations chaque jour plus difficiles. Certes il est rare de trouver un tel concert d’efforts, et on ne peut qu’en faire honneur à cette intime solidarité qui existe aujourd’hui entre la paix et la civilisation. Il y a mieux, le principe qui est en question, tout le monde l’admet, sans exclure la Russie, qui n’a cessé, dans ses actes diplomatiques, de professer le respect de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman. Or cette intégrité, c’est là tout ce que prétend maintenir et sauvegarder l’Europe. Comment se fait-il donc qu’avec un principe que tout le monde reconnaît, avec un point de départ commun, on en soit arrivé à s’entendre si peu ? Il faut bien tirer la conclusion rigoureuse : c’est qu’en résumé on s’entend sur les mots, on ne s’entend pas sur les choses. L’intégrité de l’empire ottoman a été et ne cesse d’être une réalité pour l’Europe, elle a été un mot pour la Russie jusqu’à ce moment.

Qu’on observe la conduite des diverses instances engagées dans ces complications : ce serait un non-sens à coup sûr d’accuser les gouvernemens européens de vues envahissantes en Orient, de préméditations de conquêtes