Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éditeur joignit à cet envoi la lettre suivante, retrouvée dans les papiers de Smith, et que son digne biographe, Dugald-Stewart, a publiée :


« Paris, 3 mars 1778.

« Le désir de se rappeler à votre souvenir, monsieur, quand on a eu l’honneur de vous connaître, doit vous paraître fort naturel ; permettez que nous saisissions pour cela, ma mère[1] et moi, l’occasion d’une nouvelle édition des Maximes de La Rochefoucauld, dont nous prenons la liberté de vous offrir un exemplaire. Vous voyez que nous n’avons point de rancune, puisque le mal que vous avez dit de lui dans la Théorie des sentimens moraux ne nous empêche point de vous envoyer ce même ouvrage. Il s’en est même fallu de peu que je ne fisse encore plus, car j’aurais eu peut-être la témérité d’entreprendre une traduction de votre Théorie ; mais comme je venais de terminer la première partie, j’ai vu paraître la traduction de M. l’abbé Blavet, et j’ai été forcé de renoncer au plaisir que j’aurais eu de faire passer dans ma langue un des meilleurs ouvrages de la vôtre.

« Il aurait bien fallu pour lors entreprendre une justification de mon grand-père. Peut-être n’aurait-il pas été difficile premièrement de l’excuser, en disant qu’il avait toujours vu les hommes à la cour et dans la guerre civile, deux théâtres sur lesquels ils sont certainement plus mauvais qu’ailleurs, et ensuite de justifier par la conduite personnelle de l’auteur des principes qui sont certainement trop généralisés dans son ouvrage. Il a pris la partie pour le tout, et parce que les gens qu’il avait eus le plus souvent sous les yeux étaient animés par l’amour-propre, il en a fait le mobile général de tous les hommes. Au reste, quoique son ouvrage mérite à certains égards d’être combattu, il est cependant estimable même pour le fond, et beaucoup pour la forme. »


Nous acceptons volontiers ce jugement de M. le duc de La Rochefoucauld comme la meilleure expression du nôtre. Oui, l’auteur des Maximes a pris la partie pour le tout ; il a trop généralisé ses principes ; parce que la plupart des hommes sont animés par l’intérêt et l’amour-propre, il a eu tort d’en faire le mobile unique de tous les hommes, et son ouvrage mérite d’être combattu. Nous trouvons une réfutation suffisante de La Rochefoucauld dans la lettre aimable et généreuse, surtout dans la vie et dans la mort de son noble descendant : admirables représailles exercées par le petit-fils contre les écrits et la conduite de son grand-père !

Arrivé à la fin de cette longue histoire des Maximes, nous sentons le besoin de demander grâce au lecteur pour cette multitude de pièces, de lettres, de documens de toute espèce que nous y ayons comme entassés ; mais ces documens étaient presque tous inédits, et on sait combien ceux qui consument leur temps et leurs yeux à rechercher et à déchiffrer des pièces nouvelles ont de faiblesse pour

  1. La duchesse d’Anville.