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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/516

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complètement inconnus, au moins dans les trois quarts de l’île; la végétation herbacée y est admirable, ce n’est pas sans raison que le trèfle est devenu l’emblème héraldique de l’île verte, comme on l’appelle. La côte sud-ouest jouit d’un printemps perpétuel, dû aux courans de l’Océan qui viennent des tropiques; on y voit des myrtes en pleine terre, et l’arbre le plus commun est l’arbousier, qu’on appelle aussi l’arbre aux fraises.

Aucun pays n’a été plus heureusement doué par le ciel pour la navigation, tant intérieure qu’extérieure. A l’intérieur, des lacs immenses, tels que le lac Neagh, d’une superficie d’environ 40,000 hectares; le lac Corrib, qui en couvre 16,000, et une foule d’autres disséminés avec une abondance qu’on ne retrouve nulle part, offrent aux transports des facilités uniques. Le plus beau fleuve des îles britanniques, le Shannon, moitié fleuve, moitié lac, traverse presque toute l’Irlande de l’est à l’ouest, sur une longueur de 80 lieues, avec cette heureuse singularité, qu’il est navigable, sauf quelques interruptions faciles à corriger, depuis son embouchure jusqu’à sa source. D’autres rivières également navigables, découlant dans tous les sens des différens lacs, forment les rameaux d’un vaste système que de courts canaux peuvent aisément compléter. A l’extérieur, la mer pénètre de toutes parts dans les côtes, et y creuse des baies et des ports innombrables, dont un seul, celui de Cork, abriterait toutes les flottes de l’Europe. La configuration du sol ne se prête pas moins aux voies de communication par terre; routes ordinaires et chemins de fer s’y font avec moins de peine et à moindres frais que dans la Grande-Bretagne.

Malgré ces avantages naturels, la misère du peuple irlandais est depuis longtemps proverbiale. Quatre grandes villes, Dublin, Cork, Belfast et Limerick, la première de 250,000 âmes, la seconde de 100, la troisième de 80, la quatrième de 60, placées comme au centre des quatre faces de l’île, en forment les métropoles : Dublin surtout passe à bon droit pour une des plus belles villes de l’Europe, et sa magnificence étonne l’étranger; mais le reste du pays contient peu de villes, et les campagnes ont un air navrant de pauvreté qui gagne les faubourgs des grandes cités. Ces ports, ces lacs, ces fleuves, qui devraient porter la vie de toutes parts, sont presque délaissés par le commerce. Le produit brut agricole, du moins avant 1847, atteignait à peine la moitié du produit brut anglais à surface égale, et la condition de la population rurale était pire encore que ne semblait l’indiquer cette différence dans les produits. Arrêtons-nous d’abord à cette date, qui importe ici plus encore que dans le reste du royaume-uni; recherchons quelle était alors la situation, soit de l’agriculture, soit de la population rurale, et quelles en pouvaient être les causes; je raconterai ensuite ce qui s’est passé depuis.