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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/536

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bornes, la petite doit en avoir aussi; le danger des trop petites propriétés est même plus à redouter que celui des trop grandes.

Il fallait donc avant tout mettre un terme à cette division illimitée des exploitations, d’où sortaient à la fois l’appauvrissement du sol, la misère des cultivateurs et la gêne des propriétaires. La cause principale de la surabondance des bras étant le défaut d’industrie, le gouvernement anglais s’occupait aussi sérieusement de faire fleurir en Irlande le travail industriel et commercial, qu’il s’était appliqué dans d’autres temps à l’étouffer; mais le temps était un élément indispensable pour développer cette nouvelle et inépuisable source de travail, et cette multitude de malheureux n’avait pas le temps d’attendre. On avait cru trouver aussi un moyen de relever le taux des salaires en établissant en Irlande la taxe des pauvres, ressource dangereuse, qui, appliquée nécessairement sur de trop faibles bases, n’avait donné aucun résultat sensible, tout en imposant de lourdes charges à la propriété. On était toujours à la recherche : les uns proposaient de distribuer aux paysans les terres incultes; mais il n’était que trop facile de leur répondre que ces terres étaient pour la plupart incultivables, et que, pour celles qui pouvaient être mises en valeur, il fallait des dépenses énormes et du temps, ce temps qui manquait pour tout. Les autres proposaient d’imposer aux landlords l’obligation de nourrir tous ceux qui habitaient leurs domaines, mais il n’était encore que trop facile de leur répondre que toute espèce de travail cesserait alors, et qu’on se trouverait immédiatement en présence de l’impossible; on multipliait les enquêtes, les études publiques et privées, et on n’arrivait à rien de décisif. C’est Dieu qui devait se charger de donner la solution, et elle devait être terrible : tout cet arriéré d’attentats et d’erreurs ne pouvait se solder que par une catastrophe inouïe.


II.

L’année 1846, si mauvaise dans toute l’Europe, a été particulièrement fatale à l’Irlande. La maladie des pommes de terre, qui se montrait depuis quelque temps, prit cette année-là une extrême intensité, et emporta les trois quarts de la récolte. La seconde ressource alimentaire des pauvres cultivateurs, l’avoine, manqua également. À cette terrible nouvelle, tout le monde prévit ce qui allait arriver. Le gouvernement anglais, épouvanté, prit les mesures les plus actives pour faire venir des vivres de tous côtés. Bien qu’il dût se préoccuper en même temps de l’Angleterre, où la disette s’annonçait aussi, mais dans de moindres proportions, il fit des efforts inouïs pour donner un supplément extraordinaire de travail au peuple irlandais; il prit à sa solde 500,000 ouvriers, organisa pour les occuper