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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/55

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l’adorer. » À ces paroles, un grand murmure s’éleva du milieu de la foule. Hérode et sa cour parurent consternés. Cependant on fit asseoir les trois mages, on leur rendit les devoirs de l’hospitalité, on leur lava les pieds, et puis on les invita à prendre des forces pour la continuation de leur saint pèlerinage. Le roi Hérode, les trois mages et les principaux dignitaires de la cour prirent place à la table du festin. Giacomo, animé par de copieuses rasades, oubliant le rôle dont il était investi, voulut haranguer l’assemblée au nom de saint Pierre et de saint Paul, et déjà il avait lancé sa fameuse citation : Ecco cosa dicevano.., lorsqu’on lui fit observer qu’en sa qualité de mage, il lui était impossible d’invoquer les deux grands apôtres dont les épîtres sont postérieures à la mort de Jésus-Christ. Sans être parfaitement convaincu de la justesse de cette observation, Giacomo consentit à suspendre son discours. Après ce petit épisode, on se leva de table; le roi Hérode remonta sur son trône, et il dit aux mages qui l’écoutaient : «Allez, informez-vous de l’enfant, et, lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi l’adorer.»

Les mages s’inclinèrent avec respect et sortirent de la salle. Ils trouvèrent le village illuminé. Les fenêtres des principales maisons étaient garnies de flambeaux et de jeunes filles déguisées sous les costumes les plus bizarres et les plus divers, qui criaient aux voyageurs : « Ohé! ohé! voici le roi des Juifs que vous cherchez ! » et, avec ces cris insultans, elles jetaient à la tête des voyageurs une sorte de mannequin en paille qui simulait un enfant au maillot. Les mages traversèrent toute cette foule de mécréans dans un profond silence, paraissant insensibles aux injures dont ils étaient l’objet. Ils arrivèrent ainsi en pleine campagne suivis d’une cohue d’enfans et de femmes et précédés de loin par un char à deux roues et de forme antique qui était trahie par des bœufs. Sur ce char, qui ressemblait assez à celui que montaient jadis les triomphateurs romains, il y avait quatre jeunes gens tenant chacun à la main une longue torche de résine dont la flamme pétillante s’élançait dans les airs. Les ombres que projetait cette lumière épaisse enveloppaient le char et dérobaient entièrement aux yeux de la foule les détails de cette naïve mise en scène, par laquelle on voulait représenter la mobilité de l’étoile prophétique.

C’était par une nuit d’une sérénité admirable que s’accomplissait cette pieuse et touchante cérémonie. Le firmament était radieux, les étoiles scintillaient d’une manière extraordinaire, l’air était doux, l’obscurité et le silence régnaient dans la nature. On n’entendait de temps en temps que les bêlemens des moutons enfermés dans les fermes du voisinage, que le cri plaintif de quelque oiseau mal abrité, que les sons expirans d’une voix lointaine. Une douce et vague