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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/587

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leur tactique habituelle, faire croire aux insurgés que l’Hermès combattait dans leurs rangs. Les Anglais assistèrent donc au spectacle très rare d’une lutte assez vive qui s’engagea entre l’escadre impériale et les batteries de terre. Le steamer continua sa route ; il eut encore à essuyer au-delà de Chin-kiang-fou quelques bordées inoffensives parties des jonques qui défendaient le fleuve, et le 27 au matin il jeta l’ancre sous les murs de Nankin. À la suite d’une correspondance échangée entre le capitaine du navire et le commandant de l’un des forts, l’interprète M. Meadows fut envoyé à terre afin de proposer aux chefs des rebelles une entrevue avec sir George Bonham.

M. Meadows était accompagné du lieutenant Spratt. Il demanda à être conduit devant le chef le plus élevé en grade, et quelques Chinois le menèrent dans une maison du faubourg du nord, où il fut reçu par deux personnages vêtus de longues robes jaunes. (En Chine, le jaune est la couleur impériale.) Les soldats enjoignirent à M. Meadows de s’agenouiller et à M. Spratt de déposer son sabre. Les visiteurs ne tinrent aucun compte de cette double invitation, et l’interprète, s’adressant aux deux chefs, expliqua en peu de mots le but de sa mission. Les chefs se retirèrent, sans répondre, dans l’intérieur de la maison ; mais M. Meadows les suivit résolument, et il les força à lui accorder audience. Pendant qu’il leur exposait une seconde fois l’objet de sa visite, il entendit qu’on distribuait une correction de coups de bambou aux malheureux Chinois qui lui avaient servi de guides. Le début était peu engageant. Toutefois l’un des personnages à robe jaune (c’était le prince du Nord) se décida à ouvrir la bouche, et il commença par demander aux Anglais s’ils adoraient Dieu, le Père céleste. M. Meadows se hâta de répondre que les Anglais adoraient Dieu depuis huit à neuf cents ans. Le prince, après avoir consulté de l’œil son acolyte de prince adjoint), fit alors apporter des sièges, et l’on se mit à causer. L’interprète provoqua des explications sur le nombre et le grade respectif des chefs, ainsi que sur les formes à observer dans le cas où ceux-ci auraient une conférence avec sir George Bonham. Il déclara que le gouvernement anglais entendait demeurer neutre, qu’il n’était pour rien dans l’envoi des torchas et autres navires frétés par le gouverneur de Shanghai, et que l’on ne devait pas ajouter foi aux placards des mandarins. Il demanda enfin quels étaient les sentimens des vainqueurs de Nankin à l’égard de la population européenne. Le prince du Nord paraissait prendre très peu d’intérêt aux paroles de M. Meadows ; ce qui le préoccupait, c’était la question religieuse. Dès qu’il eut appris que les Anglais connaissaient les Règles célestes, c’est-à-dire les dix commandemens, son visage s’illumina de joie. Il répéta à plusieurs reprises qu’il aimait les Anglais comme ses frères, qu’il voulait non-seulement vivre en paix avec eux, mais encore les accueillir comme d’intimes alliés. Il leur accorda par conséquent la liberté d’entrer à Nankin, de s’y promener partout où il leur plairait ; puis, revenant sur les divers incidens de la guerre, il se montra plein de confiance dans la victoire assurée à son parti par la protection toute puissante du Père céleste. Cependant cet entretien mystique et ces élans enthousiastes avaient laissé dans le vague la proposition d’entrevue que l’interprète était chargé de traiter avec les chefs des rebelles. « Quand je ramenai la conversation sur ce terrain, dit M. Meadows dans le récit fort curieux qu’il adressa à sir George