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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/591

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qui ne relevait pas directement de son autorité. Le comité s’adressa enfin au consul français, M. de Montigny, et lui demanda de prolonger le séjour de la corvette à vapeur Cassini. Le commandant, M. de Plas, promit de se concerter avec le consul et de ne point quitter son mouillage tant que la sécurité des missionnaires catholiques et de la communauté européenne serait en péril. Ainsi c’était au pavillon français que l’on avait recours pour défendre tant d’intérêts menacés, et les représentans de notre pays répondirent sans hésiter à l’appel qui leur était fait.

Les prévisions de sir George Bonham furent d’ailleurs justifiées par l’événement : les rebelles de Nankin ne marchèrent point sur Shanghai et s’abstinrent de toute démonstration hostile contre les étrangers. Maîtres du Yang-tse-kiang et du Grand-Canal, ils déclarèrent qu’ils avaient l’intention de se diriger au nord, vers la capitale de l’empire, et on a répandu à diverses reprises la nouvelle qu’ils étaient en route. Évidemment c’est à Pékin qu’ils doivent achever leur victoire et consommer la ruine de la dynastie tartare. Jusqu’ici on n’a point reçu d’informations précises sur leurs mouvemens, et il convient d’attendre qu’un récit authentique (autant du moins qu’un récit chinois peut être authentique) remplace les nombreuses conjectures auxquelles la presse européenne se livre avec une complaisance vraiment trop facile. Je laisserai donc l’armée de Taï-ping à Nankin; mais, avant d’étudier les insurrections partielles qui ont éclaté sur d’autres points du Céleste Empire, je désirerais traiter en peu de mots une question très importante qui a soulevé en Europe de vives controverses. Quelle est la religion des rebelles ? Serait-ce, comme on l’a prétendu, la foi chrétienne qui aurait entraîné les masses populaires sur les pas de Taï-ping, et doit-on attribuer aux manœuvres des missionnaires catholiques ou à une explosion soudaine de protestantisme la guerre civile qui désole aujourd’hui la Chine ?

Dès l’origine de la révolte, alors qu’il ne s’agissait que de brigandages commis dans la province du Kwang-si, les journaux anglais de Hong-kong et de Canton insinuèrent que les missionnaires de l’église romaine, et en particulier les missionnaires français, avaient profité de l’état de désorganisation dans lequel se trouvait l’empire pour exciter les populations contre l’autorité des mandarins. Ce qui pouvait donner à cette insinuation quelque vraisemblance, c’étaient les rapports de plusieurs gouverneurs de districts, qui, jaloux de faire preuve de zèle, s’empressèrent de dénoncer les chrétiens et provoquèrent de nouvelles persécutions contre les catéchistes; mais cette accusation est de tous points calomnieuse. On sait que nos missionnaires ne vont point en Chine pour y prêcher le désordre : ils se livrent exclusivement aux pieux travaux de leur apostolat ; ils rencontrent parfois le martyre, et en marchant au supplice, ils ne demandent pas à être vengés. Voici d’ailleurs un argument péremptoire que je puise dans une lettre de Mgr Rizzolati, vicaire apostolique du Hou-kouang[1] : « Rien n’est plus faux que ce qu’ont dit les gazettes de Hong-kong, savoir : que des missionnaires français sont à la tête des rebelles... Il est mille fois démontré que les chefs des rebelles sont tout autres que des catholiques romains, par ces trois mots qui

  1. Annales de la Propagation de la Foi, n° de juillet 1853.