Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette situation. Quant aux hommes politiques de l’Espagne qui ont joué jusqu’ici, et à juste titre, un grand rôle dans leur pays, et qui sont maintenant hors des affaires, c’est à eux peut-être qu’il appartient plus particulièrement d’user de prudence et de circonspection, de ne point laisser dégénérer les oppositions permises et naturelles en perturbations publiques ou en scissions irréparables, et par là ils peuvent rendre encore le plus signalé service à la monarchie constitutionnelle espagnole dans des épreuves dont on la croyait affranchie.

Un des plus tristes exemples de l’incurable anarchie où puisse tomber un peuple, et dont devraient bien travailler à se préserver ceux qui en sont sortis, c’est bien certainement la république mexicaine. Ce n’est point que le Mexique soit en ce moment en proie à quelque nouvelle révolution intérieure ; la révolution qui s’accomplit s’opère du moins pacifiquement ; elle a pour but de fortifier l’autorité, comme on dit, et pour cela, il y a quelque temps, la ville de Guadalaxara a pris l’initiative d’une résolution qui confère des pouvoirs dictatoriaux au général Santa-Anna. Cette délégation ne saurait être plus large, elle donne la dictature au président actuel pour le temps qu’il jugera nécessaire. En cas de décès ou d’incapacité physique, il a la faculté de choisir son successeur ; en outre le général Santa-Anna a le titre d’altesse sérénissime. Ce n’est point le rétablissement de l’empire éphémère d’Iturbide, c’est un acheminement peut-être, peut-être aussi une halte entre deux révolutions. Le Mexique a pris le moyen le plus court pour se préserver des crises électorales ; mais ce n’était pas là son plus grand danger : son mal, c’est la dissolution qui travaille les provinces, rend tout gouvernement impuissant et ouvre son territoire à toutes les entreprises. Il y a peu de temps encore, on a eu ce spectacle singulier : une bande d’aventuriers recrutés à San-Francisco s’est abattue sur un port du Mexique ; les autorités mexicaines ont été expulsées, quelques habitans ont été tués, et l’indépendance de la Basse-Californie a été solennellement proclamée. Le héros principal de cette aventure est un Américain, M. Walker, qui s’est institué président de la république nouvelle et a nommé ses ministres. Une proclamation de Walker est venue du reste expliquer l’événement. Ce qui en résulte de plus positif, c’est que, le Mexique ne faisant rien pour la prospérité de ses provinces, ne pouvant pas même les défendre, Walker et ses compagnons, en tentant de le déposséder, ne font qu’accomplir un décret de la Providence. Ce n’est là en définitive qu’une brutalité d’aventuriers américains qui peut être réhaussée par les armes, déjà même les bandes de Walker paraissent avoir été battues et dispersées. Ce qui serait plus grave, ce serait un traité entre les gouvernemens de l’Union et du Mexique dont il a été question, traité qui aurait été signé par le général Gadsden, et qui aurait pour effet de céder aux États-Unis les provinces de la Basse-Californie et de Sonora, moyennant une somme de 50 millions de dollars payée au gouvernement mexicain. S’il en était ainsi, ce serait un épisode nouveau du démembrement du Mexique, démembrement que les Américains poursuivent d’abord par les assauts répétés de leur ambition, et qu’ils font consacrer ensuite par des traités. Voilà les deux ennemis entre lesquels vit le Mexique, toujours renvoyé de l’un à l’autre, — l’anarchie et le démembrement. ch. de mazade.