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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/651

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à l’Occident la domination du monde oriental, cet homme, aussi grand politique que grand capitaine, n’a rien de commun avec le téméraire enivré qui court des bords de l’Oxus à ceux du Gange, poursuivant le rêve de sa divine origine à travers des solitudes où son armée refuse de le suivre, et qui succombe enfin aux énervantes influences de l’Orient sans s’inquiéter de l’avenir d’un empire destiné à s’abîmer dans les pompes de ses funérailles.

Il est une loi de notre nature à laquelle n’échappent pas les plus grands génies : nous éprouvons l’invincible besoin de prétendre surtout aux qualités qui nous manquent. L’empereur Napoléon a mis un soin extrême à prouver - au monde attentif à recueillir toutes ses paroles au jour de l’isolement et de l’épreuve - que sa vie s’est fatalement enchaînée par la logique des événemens comme par celle des idées, et qu’il a régné dans l’ensemble de ses actes ou du moins de ses projets une harmonie constante, alors même que le secret en échappait à ses contemporains, ou qu’il pourrait échapper à l’histoire. Lui contester cette seule gloire-là comme la postérité la dénie à Alexandre, prouver qu’il a mis successivement son génie au service de deux pensées contraires, et qu’après avoir commencé par s’identifier avec la France, il a fini par identifier la France avec lui, ce n’est pas manquer de respect à cette grande mémoire, et c’est aborder une question qui touche aux plus sérieux problèmes de notre temps.

Aucun document ne manque désormais sur cette époque de prodiges, durant laquelle les années semblaient accumuler l’œuvre des siècles. Après les écrits de parti inspirés par l’enthousiasme ou par la haine sont venues les confidences de l’intimité et ces mille détails de la vie privée qui révèlent l’homme sous le héros. D’ailleurs Napoléon a commenté sa vie plus éloquemment que César ; il a mis ses paroles à côté de ses actes, et les générations à venir sauront comment il entend que ceux-ci soient compris et jugés. Si la France attend encore le grand monument des correspondances inédites de l’empereur décrété par une pieuse et nationale pensée, on peut dire que, depuis l’œuvre de M. Thiers, cette merveilleuse correspondance n’a plus de secrets, et que le public est désormais associé à tous ces témoignages de prévoyance et de génie qui semblent reculer les limites des forces humaines. L’illustre historien a tout connu et tout révélé. L’Histoire du Consulat et de l’Empire est un immense répertoire de faits élucidés et classés avec la netteté qui est le propre du talent littéraire de M. Thiers, comme elle fut sa qualité la plus précieuse dans sa carrière politique. Les esprits les moins disposés à accepter l’ensemble de ses jugemens ne pourront désormais puiser qu’au sein même de son travail les objections qu’ils auraient parfois à lui opposer. C’est