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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/66

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fortune, les arts, surtout la musique, opèrent des miracles bien plus surprenans encore. La musique, ce langage mystérieux de l’âme, dont l’empire commence où finit celui de la parole, comme l’ont très bien dit quelques pères de l’église; la musique, qui est à la fois une science très compliquée et un art prodigieux qui satisfait la raison et qui la dépasse par son rayonnement infini, la musique remue les fibres les plus ténues de notre sensibilité, et amène à la surface du cœur des accens ignorés qui nous révèlent tout entiers à ceux qui nous écoutent. C’est ainsi que la mer agitée par la tempête se soulève jusque dans ses profondeurs, et jette sur les rivages des débris inconnus. Telle femme vous attire par sa beauté et vous charme par sa conversation, qui semble trahir une créature délicate et conforme à l’idéal que vous poursuivez : écoutez-la chanter, et si votre oreille est exercée à démêler la bonne note, vous serez étonné de la différence qui existe souvent entre ces deux manifestations d’une seule et même personne. C’est que dans le son musical, dans ce qu’on appelle le timbre de la voix humaine, il y a ce qu’on trouve dans l’arôme des fleurs, la quintessence de la nature des choses. Une voix qui chante, c’est un écho de l’âme, qui vous en dit plus en quelques minutes que les plus longs discours. On peut mentir en parlant, on ne peut pas tromper en chantant.

C’est Beata qui enseigna à Lorenzo les premiers élémens de la musique, et cette tâche lui fut aussi douce que facile à remplir, parce que son élève était déjà tout préparé à la culture de cet art admirable. Lorsqu’il eut surmonté les premières difficultés, que sa voix de soprano fut assouplie à franchir les intervalles les plus ardus, et qu’il eut une connaissance suffisante des signes phonétiques et de leur valeur, Lorenzo passa sous la direction de l’abbé Zamaria, qui du reste avait la haute main sur toute son éducation intellectuelle. L’abbé Zamaria était un profond musicien, un érudit qui connaissait l’histoire et la théorie de l’art presque aussi bien que le père Martini de Bologne, dont il était l’ami et le correspondant. Élève de Benedetto Marcello, dont il admirait plus que personne le génie simple et grandiose, l’abbé Zamaria avait suivi d’un œil curieux et intelligent les révolutions qu’avait subies la musique depuis la grande époque de la renaissance jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Il avait surtout fait une étude particulière de l’histoire de la musique à Venise, de ses théâtres et de toutes les institutions qui s’y rattachaient, — et à force de sagacité, d’érudition aussi variée que minutieuse, il était parvenu à saisir le caractère de ce qu’il appelait l’école vénitienne, qu’il croyait aussi réel et aussi tranché en musique que dans la peinture et dans l’architecture. La partialité de l’abbé Zamaria pour tout ce qui pouvait intéresser la gloire de son pays, son penchant à faire ressortir l’influence particulière de Venise sur le