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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/667

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était parvenue à lier tous les intérêts privés au sort de sa politique égoïste et conquérante. Pendant que le gouvernement britannique achevait la conquête des Indes, qu’il menaçait les possessions transatlantiques de l’Espagne, et qu’il ne craignait pas d’enlever toutes les colonies néerlandaises, par le seul motif que la France victorieuse occupait le territoire de la Hollande, l’aristocratie anglaise, désintéressant à prix d’or tous les petits propriétaires, achevait de s’emparer du sol ; elle commanditait l’industrie, que la guerre laissait sans concurrence, que cette révolution territoriale surexcitait violemment, et le crédit avec l’income tax fournissait à son gouvernement des ressources inépuisables. Pitt ouvrait au commerce des horizons sans bornes, et donnait à sa pairie l’empire des mers.

Il n’y a donc pas à s’étonner si les ouvertures du premier consul furent repoussées à Londres avec une hauteur dédaigneuse, à Vienne avec une modération affectée qui cachait une résolution non moins fortement arrêtée. L’Autriche considérait le traité de Campo-Formio, imposé en d’autres temps par le général Bonaparte victorieux, comme déchiré désormais par les victoires de l’archiduc Charles. Pour l’amener à reconnaître à la France la possession des provinces belgiques et rhénanes, pour désabuser la cour de Vienne de l’espérance de dominer seule en Italie, il ne fallait pas seulement qu’elle pût craindre une défaite, il fallait qu’elle en eût épuisé les dernières rigueurs ; pour amener l’Angleterre deux ans après à signer un traité qui consacrait toutes les acquisitions faites par la France, il ne suffisait point également que l’Autriche écrasée se fût déclarée hors d’état de continuer la lutte ; il fallait que, par un revirement aussi complet que soudain, la Russie eût formé avec la France des liens aussi étroits que ceux qu’elle entretenait naguère avec la coalition à laquelle son souverain souillait ses chevaleresques ardeurs, et que le gouvernement britannique se trouvât seul pour un moment, sur ce champ de bataille où tant de sang avait coulé, où plus de sang allait bientôt couler encore.

Dans la campagne diplomatique qui précéda cette guerre devenue si légitime, le jeune général déploya des qualités dans lesquelles la souplesse de Mazarin semble se confondre avec la fermeté de Richelieu. Habile comme un vieux diplomate, il met au service de ses desseins une puissance de séduction que n’avait possédée à ce degré aucun prince né sur le trône. L’Espagne est rattachée à l’alliance française, quelque lourd que le poids en soit pour elle, par les flatteries que le premier consul, immolant ses mépris à ses intérêts, consent à prodiguer au triste favori auquel une royale famille sacrifie son honneur et celui d’une noble nation. Mais si de riches présens suffisent à Madrid, il faut à Berlin des actes plus divins et de plus sérieuses paroles. C’est Duroc qui les y porte, Duroc qui combattait