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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/677

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génération allait teindre de son sang, Napoléon, à propos de l’évacuation de Malte, refusée contre un texte formel, réclamait le traité d’Amiens, et rien que ce traité, ce n’était point, à coup sûr, sans fondement que le ministère britannique répondait en demandant à son tour l’état du continent avant la paix d’Amiens, et rien que cet état.

Tous les historiens de l’empire, depuis M. Bignon jusqu’à M. Thiers, en y joignant les biographes de Sainte-Hélène et l’auguste captif lui-même, présentent le refus d’évacuer Malte, imposé par l’opposition à la faiblesse du ministère Addington, comme le motif de la rupture entre les deux nations à peine réconciliées. Je serais tenté de dire que cette assertion est beaucoup moins vraie qu’elle n’en a l’air. L’évacuation de Malte, refusée contrairement au traité, fut sans doute le motif patent de la rupture, et à l’occasion de ce refus, lors de la terrible scène des Tuileries, racontée par M. Thiers avec l’exactitude de l’histoire et l’émouvant intérêt du drame, Napoléon, dans son langage coloré, eut certainement le droit de dire que, devant un tel manque de foi, il fallait voiler les traités d’un crêpe noir ; mais pouvait-il méconnaître que ce refus n’était au fond qu’une réplique aux faits qui agitaient si profondément depuis une année l’opinion de l’Angleterre et du monde ? N’était-ce pas cette opinion surexcitée qui imposait au cabinet britannique le dangereux devoir de braver à son tour le superbe adversaire dont les entreprises successives semblaient la défier ? Le refus d’évacuer Malte fut une réponse, à la vérité déplorable, à la présidence de la république italienne, acceptée entre les préliminaires et la paix définitive, — à la réunion du Piémont et de l’île d’Elbe, opérée sitôt après la signature du traité ; ce refus fut inspiré par la colère plus que par l’ambition, et ressembla bien plus à un acte de dépit qu’à une satisfaction machiavélique donnée à une convoitise nationale ardemment excitée. En voyant la France grandir par la paix beaucoup plus qu’elle n’avait fait par la guerre, le ministère Addington eut la malheureuse pensée de déchirer audacieusement un traité des obscurités duquel tant de déceptions venaient de sortir coup sur coup, et, par un nouveau bonheur de sa destinée, Napoléon, dont l’esprit entreprenant compromettait la paix lors même qu’il en avait le plus besoin, put renvoyer à la Grande-Bretagne la responsabilité de la guerre et l’odieux d’une rupture provoquée contrairement au droit des gens.

Quoi qu’il en soit, la rupture de la paix maritime, qui dans un prochain avenir rendait certaine celle de la paix continentale, allait changer le cours de sa destinée, et ouvrir devant lui des perspectives fort opposées à celles qu’il embrassait avec tant de clairvoyance depuis son avènement au pouvoir. Une lutte acharnée avec l’Angleterre, bientôt suivie de la reprise des hostilités avec l’Autriche et d’une