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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/69

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drame lyrique; ceux de Cavalli, de Cesti, de Legrenzi, de Caldara, de Gasparini, de Galuppi, suivis de tous les opéras composés à Venise par les nombreux musiciens qui, depuis Scarlatti jusqu’à Cimarosa et Paisiello, ont visité cette ville des merveilles. Les théoriciens n’y étaient pas oubliés non plus, depuis Zarlino et Nicolas Vicentino jusqu’à Zacconi et Tartini, que l’abbé Zamaria avait connu personnellement. Il avait même poussé le scrupule patriotique jusqu’à mentionner par une note qu’il avait intercalée dans la compilation de l’abbé Gerbert, Scriptores ecclesiastici de musica sacra. les manuscrits d’un fameux théoricien de la fin du XIIIe siècle, Marchetto de Padoue, dont le nom était emprunté à la ville qui lui a donné le jour.

On s’imagine bien que sous la direction d’un pareil maître Lorenzo dut faire des progrès rapides dans l’étude de la musique. Non-seulement l’abbé Zamaria lui apprit à chanter d’après les principes alors en vigueur dans toutes les bonnes écoles d’Italie, il lui enseigna aussi à jouer du clavecin, et compléta son éducation en lui donnant les notions d’harmonie qui sont indispensables à tous ceux qui veulent comprendre les lois d’un art plus compliqué qu’on ne le croit communément. Du reste, l’abbé Zamaria procédait avec son jeune élève comme il l’avait déjà fait avec Beata, en suivant la méthode de son maître Benedetto Marcello, qui consistait à faire marcher de front la lecture et la vocalisation avec la théorie dans des proportions plus ou moins grandes et selon le degré d’aptitude de l’élève qu’on instruisait. Les leçons de l’abbé Zamaria, auxquelles Beata assistait toujours, étaient fort intéressantes par l’esprit et la passion qu’il mettait à développer ses idées sur l’art qu’il aimait, et par les rapprochemens ingénieux et quelquefois profonds qu’il savait établir entre la musique et les diverses connaissances de l’esprit humain. La jovialité de son humeur, son érudition, aussi piquante que variée, jaillissaient au moindre choc, et jetaient la lumière sur les objets les plus obscurs.

— Vois-tu, Lorenzo! lui disait souvent cet aimable abbé, la musique ne s’apprend pas comme les matemaliche. La voix est moins nécessaire pour bien chanter que le sentiment, et pour devenir un compositeur comme l’illustre Marcello ou le joyeux Buranello, il faut bien autre chose que de savoir écrire sur la cartella[1] quelques leçons de contre-point. Un grand poète que tu ne connais pas encore, et qui s’appelait Horace, a prouvé que pour faire de beaux vers ou de la bonne musique il fallait le concours de la nature et du travail; ce qui veut dire que, sans la permission du bon Dieu, qui se révèle à nous par le sentiment,

  1. Morceau de peau d’âne préparée pour y écrire de la musique.