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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/709

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« Paris, le 11 germinal an vi (mars 1798).

« Le général Desaix m’a remis, citoyen, votre aimable lettre du 25 ventôse. Je vous en remercie. Je saisirai avec plaisir toutes les circonstances qui se présenteront de faire la connaissance de l’auteur de la Mère coupable.

« Je vous salue.

Bonaparte. »


Ainsi, pour le général Bonaparte, Beaumarchais est avant tout l’auteur de la Mère coupable. Serait-ce là l’indice d’une préférence littéraire pour ce drame ou d’une certaine répugnance politique pour le Mariage de Figaro, ou tout simplement le résultat de ce fait que le drame de la Mère coupable avait été remis récemment au théâtre ? C’est une question qu’il nous paraît difficile de résoudre[1].

Toutes les lettres de la vieillesse de Beaumarchais ne sont pas également intéressantes sous le rapport du sentiment qui les a dictées. Il en est deux surtout qui firent scandale lorsqu’elles furent publiées par lui dans le Journal de Paris, et que le philosophe Gudin n’a pas manqué de reproduire pieusement : ce sont celles où, critiqué au sujet de la publication des Œuvres de Voltaire, l’auteur du Mariage de Figaro, qui jusque-là n’avait jamais attaqué directement la religion chrétienne[2], se laisse aller, sous l’influence d’un mouvement d’humeur, à une polémique indécente et vulgaire sur Jésus-Christ. Beaumarchais, disciple de Voltaire, tombait ici comme lui dans cette grossière erreur, si commune d’ailleurs au XVIIIe siècle, qui consiste à confondre la franchise avec l’effronterie, et à se croire autorisé et même obligé, parce qu’on n’a pas de religion, à blesser ceux qui en ont dans leurs sentimens les plus chers. Propager l’incrédulité avec l’ardeur que l’on mettrait à propager une croyance est un procédé qui, même en se plaçant au point de vue du scepticisme, ressemble, qu’on me passe cette comparaison, au procédé d’un homme qui, pour ne pas croire en général à la vertu des femmes, s’imaginerait

  1. Je trouve dans les papiers de Beaumarchais un autre billet de Bonaparte, premier consul, adressé à la veuve de l’auteur du Mariage de Figaro après la mort de son mari, et en réponse à une pétition. Il est ainsi conçu : « Paris, 2 vendémiaire an ix. Madame, j’ai reçu votre lettre ; je porterai dans votre affaire tout l’intérêt que mérite la mémoire d’un homme justement célèbre et que vous-même inspirez. — Bonaparte. » Ceci nous amène à rectifier une des erreurs de détail assez nombreuses qui se rencontrent dans le Mémorial de Sainte-Hélène. L’auteur de cet ouvrage fait dire au glorieux captif « qu’il avait constamment repoussé Beaumarchais en dépit de tout son esprit, lors de son consulat, à cause de sa mauvaise réputation et de sa grande immoralité. » Outre que les deux billets que nous venons de citer sont loin d’indiquer une répulsion aussi marquée, l’empereur n’a pas pu dire qu’il avait repoussé Beaumarchais lors de son consulat, attendu que ce dernier était mort avant le consulat, le 18 mai 1799, au moment où le général Bonaparte était encore en Égypte.
  2. C’est La Harpe lui-même qui fait cette remarque dans son chapitre du Cours de Littérature relatif à Beaumarchais.