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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/715

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de son opulence, aux prises avec des emprunteurs ou des mendians qui manquaient souvent de politesse ; sa vieillesse et sa pauvreté ne l’exemptent point de ce genre de désagrémens : on s’obstine à le supposer riche. Tandis que sa maison et ses meubles sont saisis par ses créanciers, il est souvent obligé de fermer rigoureusement sa porte aux quémandeurs très multipliés qui l’assiègent encore, et il reçoit d’étranges billets dans le genre de celui-ci :


« Ce 9 fructidor an v (26 août 1797).
« Monsieur,

« Je ne puis me dispenser de vous témoigner ma surprise de l’impudence d’un homme de votre extraction qui se permet de laisser chez un portier un militaire en grade, et qui lui fait réponce verbale par l’organe d’un domestique. Vous ne répondrez pas ; vous faindrez n’avoir pas reçu la présente, je m’y attends.

« Néansmoins je n’oublie jammais un outrage, et je suis offencé de votre façon de recevoir des personnes honnêtes. Satis.

« C. Dubois Dunilac,
« Commissaire des guerres, rue Traversière-Saint-Honoré, no 77. »


Singulière façon, s’écrie le vieux Beaumarchais, de faire demander aux portes ! Il aurait pu certainement s’abstenir de répondre ; mais comme il lui semblait un peu fort de se voir en pleine république reprocher son extraction par un mendiant en ac se disant commissaire des guerres, il ne résiste pas au désir d’écrire deux mots à ce prétendu gentilhomme. Voici sa réponse :


« Paris, ce 10 fructidor an v (27 août 1797).

« Le ton peu décent de votre lettre, citoyen ou monsieur, comme vous l’aimez mieux, devrait sans doute me dispenser d’y répondre, ainsi que vous le présumez ; mais si je ne vous dois rien, je me dois à moi-même de repousser l’insulte d’un homme peu délicat. J’ai donné l’ordre exprès chez moi de ne laisser entrer que des personnes connues, pour échapper à toutes les ruses dont mille escrocs, peut-être pis, se servent dans ces temps fâcheux pour s’introduire dans les maisons. Cette mesure de sûreté générale n’a rien d’offensant pour vous, que je ne connais pas.

« Vous avez donc, monsieur, une extraction dont vous pensez pouvoir vous faire un titre pour blesser sur la leur les citoyens paisibles à qui vous écrivez ? Je croyais toutes ces misères bien enterrées avec l’ancien régime ; mais je vois que j’avais raison lorsque j’ai fait dire au théâtre comme un adage de tous les temps : La sottise et la vanité sont compagnes inséparables.

« Quand on a l’honneur, croyez-moi, d’être employé sans nul danger dans les braves armées de la république, on peut avoir quelque fierté de bien exercer son emploi ; mais cette triste vanité d’une extraction gentilhommière n’est qu’une puérilité indigne d’un homme sensé dans votre état comme en tout autre.

« Recevez mes salutations en réponse à vos invectives. Je ne suis point