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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/717

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Il paraîtrait que, sur la foi de quelques mots plus ou moins authentiques prêtés à Beaumarchais dans une conversation avec un ami qu’on ne nomme pas, et où il aurait été question des moyens chimiques de mourir sans douleur, l’opinion qu’il s’était empoisonné avec de l’opium aurait dès lors trouvé quelques partisans. Je vois en effet, huit ou dix jours après son décès, un ami de la famille écrire à Mme de Beaumarchais qu’il a rencontré quelqu’un qui lui a, dit-il, débité gravement cette impertinence. Ce bruit ayant été reproduit de nos jours par plusieurs écrivains[1], il faut prouver qu’il est absolument dénué de toute vérité.

D’abord nous avons sous les yeux le certificat du chirurgien Lasalle, appelé à constater le décès, certificat daté du jour même de ce décès (29 floréal an vii), et qui déclare que le citoyen Beaumarchais est mort d’une apoplexie sanguine, et non autre maladie. À ce témoignage nous devons joindre celui du gendre même de l’auteur du Mariage de Figaro, M. Delarue, qui, comme nous l’avons déjà dit, existe encore, et qui, instruit par nous de la persistance de ce bruit qu’il ignorait, nous écrivait, il y a quatre ans, la lettre suivante :


« Villepinte, par Livry (Seine-et-Oise), le 7 octobre 1849.
« Monsieur,

« Je viens d’apprendre avec un étonnement pénible les bruits que l’on a fait courir sur les derniers momens de Beaumarchais, mon beau-père. L’assertion mensongère de son suicide, qui a été reproduite dans des écrits sérieux, m’oblige à repousser avec toute l’indignation qu’elle mérite une fable dont la famille et les amis de Beaumarchais se seraient émus, s’ils l’avaient connue plus tôt.

« Beaumarchais, après avoir passé en famille la soirée la plus animée, où jamais son esprit n’avait été plus libre et plus brillant, a été frappé d’apoplexie. Son valet de chambre, en entrant chez lui le matin, l’a trouvé dans la même position où il l’avait laissé en le couchant, la figure calme et ayant l’air de reposer. Je fus averti par les cris de désespoir du valet de chambre.

  1. Esménard, dans son article Beaumarchais de la Biographie universelle, exprime un soupçon de ce genre. On le trouve également reproduit, d’après Beuchot, par un de nos érudits les plus estimés, M. Ravenel, dans la notice qui précède sa petite édition in-18 de Beaumarchais. M. Sainte-Beuve déclare qu’il ne fait aucune difficulté d’admettre l’apoplexie, en se réservant, dit-il. tout au plus un léger doute. Enfin un travail distingué sur Népomucène Lemercier, publié dans cette Revue par M. Charles Labitte, contient un passage où l’auteur semble incliner aussi, d’après Lemercier lui-même, vers cette opinion que Beaumarchais se serait suicidé. C’est une erreur complète ; mais en réfutant cette erreur, je profiterai de l’occasion pour saluer d’un hommage, en passant, la mémoire de ce jeune, spirituel et savant Charles Labitte, prématurément enlevé aux lettres, qu’il cultivait avec un talent déjà si remarquable et une conscience si droite. Je dois déclarer également ici que le frère de M. Charles Labitte m’a remis quelques notes que ce dernier avait recueillies dans l’intention de rédiger une étude sur Beaumarchais, et, quoique ces notes m’aient peu servi au milieu de la masse de matériaux fournis par la famille de l’auteur du Mariage de Figaro, elles n’ont pas laissé de m’offrir quelques indications utiles