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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/719

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commission qui proposait au ministre des finances de lui enlever 900,000 francs accordés par une commission précédente, et de le constituer débiteur de l’état pour une somme de 500,000 francs. Dix jours avant de mourir, le 18 floréal an vii, il écrivait à ce sujet au ministre Talleyrand, son ami, les lignes suivantes : « C’est contre cette commission meurtrière, laquelle je prendrai à partie, c’est contre leur inique façon de procéder à mon égard que je me pourvois aujourd’hui devant le ministre des finances ; j’ai mis à l’instant sous ses yeux la réclamation de mes titres dans un jour lumineux comme le soleil, et c’est le moment de me recommander. » Est-ce dans un pareil moment, lorsqu’il est constant qu’à sa mort le ministre des finances n’avait encore pris aucune détermination, est-ce dans un pareil moment de combat acharné et décisif que Beaumarchais aurait songé à quitter la partie en se suicidant ? Évidemment non. Il est donc certain que cette fable d’un suicide, détruite déjà par les documens et les témoignages les plus authentiques, n’est pas moins en contradiction avec toutes les vraisemblances : elle ne repose sur rien et doit être définitivement écartée.

Dans une des plus sombres allées de son jardin, Beaumarchais avait fait disposer un bosquet destiné à ombrager sa tombe. « Ce fut là, dit Gudin, que son gendre, ses parens, ses amis et quelques gens de lettres qui l’aimaient lui rendirent les derniers devoirs, et que Collin d’Harleville proféra un discours que j’avais composé dans l’épanchement de ma douleur, mais que je n’étais pas en état de prononcer. » Sous ce bosquet funéraire, après une vie si orageuse, Beaumarchais espérait sans doute pouvoir dire : Tandem quiesco. C’était encore là une illusion ; ce bosquet est aujourd’hui une rue, et le cercueil qu’il protégeait a dû être transporté dans un de ces grands cimetières qui deviendront aussi un jour des rues et des places publiques.

À la mort de l’auteur du Mariage de Figaro, sa brillante fortune semblait complètement détruite. Il léguait à ses héritiers beaucoup de dettes et de procès. Cependant, au bout de quelques années, par une suite de circonstances heureuses et une bonne administration, l’état des choses s’était notablement amélioré. Je vois en effet, dans un rapport du caissier Gudin adressé à la fille de son ancien patron, que cette fortune, quoique considérablement diminuée, s’élevait encore en 1809 à près d’un million. C’est donc en forçant un peu la signification des mots que, dans un dialogue que nous avons rapporté, Mme Delarue disait à l’empereur : « Sire, la révolution nous a ruinés, à peu de chose près. » Cette opinion de la ruine complète de Beaumarchais ayant été reproduite dans un assez grand nombre d’ouvrages, nous avons cru devoir la rectifier.

Ce travail ne serait pas complet si nous ne consacrions spéciale-