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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/727

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lateurs qui pourraient permettre à un observateur un peu curieux de fouiller dans tous leurs papiers avec la certitude qu’on n’y trouverait rien de plus obscur que ce que j’ai trouvé dans les papiers de Beaumarchais ?

Le même homme d’ailleurs, dont la vie publique a provoqué des appréciations si diverses, n’offre dans la vie privée que des qualités précieuses et rares. Sa bonté ne s’étendait pas seulement sur ceux qui l’entouraient ; on a vu par plus d’un exemple avec quelle facilité et en même temps quelle délicatesse il aimait à obliger quiconque lui paraissait digne d’intérêt. Gudin affirme que l’inventaire fait après sa mort offrait, indépendamment des sommes données sans qu’il en restât aucune trace, plus de 900,000 francs de titres pour sommes prêtées à des malheureux de toutes les classes, artisans, artistes, gens de lettres, gens de qualité, avec absence complète de garanties quant au remboursement.

Beaumarchais eut des ennemis acharnés ; mais un point important à noter, c’est que tous ceux qui l’ont attaqué avec fureur le connaissaient très peu ou ne le connaissaient pas du tout, tandis que tous ceux qui ont vécu dans son intimité l’ont aimé avec passion. Tous les écrivains qui, l’ayant approché pendant sa vie, ont parlé de lui après sa mort en ont parlé avec affection et estime. Deux esprits aussi différens que La Harpe et Arnault se rencontrent à son égard dans l’expression des mêmes sympathies, et je n’ai pas trouvé dans sa longue carrière un seul exemple d’un homme qui, après avoir été son ami intime, soit devenu son ennemi. J’ai trouvé au contraire dans ses papiers le témoignage d’amitiés qui ne sont pas communes ; j’ai trouvé des amitiés commencées avec sa jeunesse, quand il était simple horloger ou contrôleur de la maison du roi, qui le suivent pendant trente ou quarante ans, sans se démentir ou s’affaiblir jamais, qui vont toujours au contraire en redoublant d’intensité et se manifestent avec le caractère de la tendresse la plus vive et la plus désintéressée. Ce ne sont pas des amis qui ont besoin de lui, ce sont des amis indépendans qui l’aiment pour lui-même, qui connaissent ses défauts et ne se gênent pas pour les dire, mais qui connaissent aussi ses excellentes qualités, et qui subissent avec un plaisir toujours nouveau l’irrésistible attraction qu’il exerce autour de lui.

Nous ne citerons que deux exemples de ces amitiés si vives et si persistantes que Beaumarchais savait inspirer. L’auteur du Mariage de Figaro était intimement lié avec un officier distingué qui est mort, si je ne me trompe, lieutenant-colonel, au 10 août, en défendant la monarchie : il se nommait d’Atilly ; leur amitié datait de leur première jeunesse à tous deux ; leur caractère et leurs opinions différaient, et cette intimité n’offre pas un nuage pendant trente ans,