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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/734

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entières devant les seuils où des pâtres sculptaient l’if et l’érable ; il admirait ces chefs-d’œuvre d’adresse auxquels ne manque qu’un caprice plus inventif ; il rêvait de nouvelles formes, et, aux heures de l’affût, oubliant la proie qu’il attendait, il laissait tomber à ses pieds sa carabine pour découper en dentelle quelque tavillon arraché a la toiture d’un chalet. Ses essais multipliés et toujours plus heureux furent bientôt connus. À mesure que sa réputation de chasseur de chamois allait déclinant, celle de sculpteur d’érable grandissait. Enfin un entrepreneur de Mérengen offrit de le prendre dans son atelier. Ulrich devait y trouver, outre les moyens de suivre ses goûts en se perfectionnant dans l’art qu’il aimait, des avantages suffisans pour assurer à Frénoli un bien-être que la chasse lui eût toujours refusé. Ce dernier motif suffisait seul. Il accrocha sa carabine au pied du lit de l’oncle Job et partit pour Mérengen. Deux années s’écoulèrent, deux années de travail acharné, pendant lesquelles Ulrich conquit la première place parmi les sculpteurs en bois de l’Oberland et amassa la somme nécessaire à la réalisation de son vœu le plus doux. Nous avons vu comment les projets de la grand’mère lui avaient été révélés au moment où il croyait toucher au but.

Le jeune sculpteur recommençait à interroger Fréneli sur les indices qui avaient pu trahir les projets de mère Trina, lorsque celle-ci entra. C’était une femme de plus de soixante-dix ans, petite, maigre et comme repliée sous le poids de l’âge. À voir sa démarche lente, mais ferme, on eût dit que la vieillesse avait revêtu ses membres d’une armure d’acier. La décrépitude de son visage faisait mieux remarquer ses yeux gris, dont la fixité pénétrante rappelait ceux de l’oiseau de proie ; ses épaules étaient chargées d’une de ces hottes d’osier qui semblent inséparables de l’habitant des montagnes, et qu’il emporte sans but, par habitude, comme le soldat son épée.

À peine eut-elle franchi le seuil, que son regard alla chercher dans la pénombre du chalet Fréneli et Ulrich, qui, interrompus au milieu de leurs confidences, étaient visiblement embarrassés.

— Ah ! ah ! dit-elle en dégageant, sans se presser, un de ses bras du hart d’osier que la hotte avait pour courroie, il y a de la compagnie ; te voilà ici, toi !

— Dieu vous protège, grand’tante ! répondit le jeune homme en s’avançant vers la vieille femme, j’arrive de Mérengen… J’étais venu m’informer de vos nouvelles.

— Et tu les demandais tout bas à Néli, reprit la vieille femme ; à la bonne heure ! mais j’aime à voir au visage ceux que je reçois. Néli, allumez une clarté.

Pendant que la jeune fille obéissait, mère Trina se débarrassa de la hotte, qu’elle déposa dans un coin ; puis, s’avançant vers la partie