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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/783

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écrit sur Richelieu est un des meilleurs morceaux que je connaisse sur l’histoire de France[1]. Bien malhabile qui songerait à le recommencer. Cependant il peut être encore utile de fixer l’attention sur quelques points de vue qui ne lui ont pas échappé, mais qu’il n’avait aucune raison de mettre particulièrement en lumière.


II

Le temps de Richelieu est une des crises de l’histoire de France. Il est donc impossible de juger l’un sans avoir sur l’autre une opinion générale, cette opinion difficile à former l’est peut-être encore plus à exprimer. Tout le monde avoue que l’impartialité est un devoir pour l’historien, et cette impartialité ne va pas sans une parfaite indépendance. Longtemps nos historiens n’ont pas su pour la plupart se défendre d’une certaine complaisance pour le pouvoir, non pas tant d’une complaisance de courtisan, à laquelle cependant ils n’étaient pas tous inaccessibles, mais de celle qui vient de sympathie, de reconnaissance et d’habitude, mais de ce préjugé national qui exagérait encore ce qu’il y a de vrai dans la communauté d’intérêts et de vues, manifestée par tant de pages de nos annales entre le peuple et la royauté. On ne peut disconvenir que tantôt par calcul d’ambition, tantôt par un sentiment confus du bien public, tantôt enfin par une généreuse sollicitude pour leurs sujets, les dépositaires du souverain pouvoir n’aient souvent marché dans une voie où ils faisaient, gagner aux citoyens en bien-être et en justice ce que leur propre autorité gagnait en étendue et en uniformité. Cette autorité s’est assez constamment trouvée la protectrice, involontaire ou systématique, du plus faible contre d’insupportables oppressions. De là ce sentiment de gratitude ou même de solidarité qui poussait nos historiens, bourgeois pour la plupart, à tenir sans intérêt le langage de serviteurs du prince. Mais par un contraste naturel, d’autres écrivains, sans se porter pour cela les adversaires de la monarchie, se sont montrés moins touchés de ses avantages que de ses abus. En ceci comme en toutes choses, je ne parle que des écrivains modérés, le reste importe peu. Or, il nous faut bien l’avouer, la France n’a pas été sous le sceptre de ses rois si constamment heureuse qu’il y ait eu besoin de beaucoup de malignité pour trouver à redire à son gouvernement, et pour écrire son histoire dans le sens d’une certaine opposition. Il y a chez la bourgeoisie française un mélange de soumission et d’indépendance, une humeur prudente et frondeuse, une timidité dans la raison et une hardiesse dans l’esprit qui sont

  1. Voyez ce travail dans la Revue du 1er, du 15 novembre et du 1er décembre 1843.