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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/793

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Bien des progrès en seront compromis ou ne s’obtiendront que par la victoire de l’arbitraire. À mesure que l’autorité sera plus maîtresse, le peuple aura plus de bien-être, plus d’égalité et moins de garanties. Il s’habituera de plus en plus à jouer à qui perd gagne dans la victoire des ministres sur ses défenseurs attitrés ; il s’intéressera de moins en moins à des résistances qu’il comprendra peu, et la concentration graduelle de tous les pouvoirs en un seul ressemblera pour lui à la domination du bien public.

La nation, c’est le tiers-état : c’était déjà vrai ; seulement, abandonné ou insulté par les autres ordres, accablé des charges publiques, récompensé par de rares intervalles de calme et de prospérité, il n’espérait rien des droits particuliers et ne se connaissait pas de droits généraux. La coïncidence de certains intérêts de la couronne avec les siens était toute sa grande charte. Cela suffisait pour qu’en général la nation fût royaliste ; mais elle l’était surtout contre le clergé et la noblesse. Il y avait bien dans son sein un levain d’opposition lettrée, compatible avec la monarchie, quoique tirant à la république ; mais rien, sincérité, droiture, patriotisme, ne suffisait pour compenser ce qui manquait à l’esprit public de la bourgeoisie opposante. La tradition, la résolution, l’expérience, la consistance, une tranquille audace sans laquelle les peuples ne sauraient être libres, voilà ce qu’on eût cherché vainement chez ces ancêtres des libéraux modernes. Les plus savans inventaient des chimères. Les plus prudens invoquaient un passé presque aussi chimérique ; leur commune faiblesse les ramenait tôt ou tard à la royauté, car c’était encore ce qu’il y avait de plus national et de plus novateur. On pouvait la craindre ; mais on en pouvait espérer. On la voulait forte pour qu’elle contînt les grands, et capable d’opprimer les petits, afin qu’elle eût le moyen de les protéger.

Il existait bien une vieille institution, ou du moins un recours possible à une vieille institution, — les états-généraux. Depuis Charles V, ces assemblées avaient été réunies environ vingt fois. C’était en moyenne près d’une fois en douze ans. On avait toujours beaucoup attendu et peu profité de leur présence. Après quelques nobles discours et d’excellentes délibérations, elles se retiraient laissant la couronne prendre de leurs avis ce qui lui plaisait Quand par hasard leurs idées étaient converties en lois, c’est donc à la couronne qu’en revenait l’honneur. Cependant le nom des états-généraux subsistait toujours dans les esprits comme une espérance. On sait que la régence de Louis XIII convoqua les états-généraux en 1614. Il faut nous y arrêter ; Richelieu y commença le métier politique, et ce sont les derniers de l’ancienne monarchie ; ceux qui vinrent cent soixante-quinze ans après l’ont renversée.