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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/880

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Bruyère, et si célèbre au XVIIe siècle par son esprit, sa galanterie et ses perpétuels changemens.


« À Fontevrault, ce 19 juin 1674[1].

« Je suis trop heureuse, madame, que vous vous soyez aperçue de mon silence et que vous m’ordonniez de vous en rendre raison. Il m’est très aisé de le faire, et je n’ai pour cela qu’à vous dire que j’ai esté deux mois occupée à mon chapitre général, qui est la plus grande et la plus longue affaire que puisse avoir l’abbesse de Fontevrault. Je n’en suis pas encore absolument quitte, mais je puis vous assurer que, dans le temps qu’elle m’occupoit le plus, je songeois à trouver quelque moment de loisir pour vous faire, ressouvenir de moi. Vous avez eu la bonté de me prévenir, et vous m’avez donné une très sensible joie, car je ne souhaite rien tant que de trouver que vous me faites l’honneur de m’aimer, et outre cela, j’aime vos lettres pour elles-mesmes. Je me fais un plaisir extrême de les lire mille fois. Ma sœur de Fourille[2] en aura un le plus grand du monde quand elle saura qu’il lui est permis d’aller chez vous. C’est une fille qui a beaucoup d’esprit et le goût très fin. Ainsi il ne peut rien lui arriver de plus heureux dans tout son voyage que d’avoir l’honneur de vous entretenir. Comme elle est une de celles de cette maison que j’aime le mieux, je lui ai dit cent fois ce que je savois sur vostre sujet, et vous jugez bien, madame, que je serai ravie qu’elle vous ait vue pour que nous puissions, elle et moi, avoir le plaisir de parler souvent de vous. Je n’ai esté nullement surprise de la froide réception que Mme de Thianges lui a faite : cela ressemble à tout le reste de sa conduite à mon esgard, et je commence à croire qu’elle se fait un point de conscience de me maltraiter, voyant que ce deschainement a commencé presque en mesme temps que sa dévotion, et qu’il subsiste sans que j’en puisse deviner le fondement ; car enfin, madame, je ne lui ai rien fait en ma vie, et il me semble mesme que, quand je l’aurois offensée, l’esloignement et l’abandon où je suis devraient naturellement faire cesser ses persécutions. Je vous dis cela, parce que j’aime à vous faire part de ce que je pense, et nullement pour que vous en fassiez usage. Je suis résolue à prendre patience, à me passer des gens et à me souvenir toujours de ce dont ils sont capables, non pas pour leur en vouloir du mal, mais afin de n’estre jamais assez sotte pour faire aucun fond sur eux. Voilà, madame, tout ce que je pense sur ce sujet. Si je m’y suis un peu trop estendue, vous vous souviendrez, s’il vous plaist, que vous m’avez mandé de vous dire toutes mes pensées sur cette affaire… Il me semble que j’ai respondu à tous les articles de vostre dernière lettre, excepté aux louanges qu’il vous plaist de donner à ce petit discours qui est tourné entre vos mains (probablement le discours[3] sur la politesse) ; mais je suis si honteuse que vous l’ayez vu, que je ne puis vous en rien dire. Je vous prie de ne pas prendre cela pour une façon, etc. »

  1. Tome VII, p. 453.
  2. Serait-ce une fille ou une parente du lieutenant-général de Fourille, excellent officier, tué à Senef cette même année 1674 ? Dans le Grand Dictionnaire historique des Précieuses, on trouve une demoiselle de Fouril sous le nom de Florelinde, mais elle est donnée comme mariée : ce ne peut donc être celle-ci.
  3. Il aurait donc été composé avant 1674.