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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/924

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de la victoire que de stipuler l’abandon de toutes les provinces à la gauche de l’EIbe, et des duchés de Posen et de Varsovie, ces conquêtes de la perfidie légitimement reprises par la force. Laisser à Frédéric-Guillaume III la moitié de son royaume lorsqu’on eût pu prendre le tout, c’était une sorte de modération relative ; mais on avait grand soin d’éclairer le monde sur la véritable nature de celle-ci en déclarant formellement au préambule du traité de Tilsitt que, si l’on consentait à rendre un trône au signataire du traité de Schœnbrunn et au vaincu d’Iéna, c’était par pure condescendance pour l’empereur de Russie et pour cette nouvelle alliance, la plus précieuse dépouille ramassée par la France sur le champ de bataille de Friedland. Rien ne sera plus funeste à Napoléon que cette commisération dédaigneuse. Après la faute d’attaquer la Prusse et de se priver du seul contrepoids qu’on pût opposer en Allemagne à la haine éternelle de l’Autriche, il n’y en avait pas de plus grande à commettre que de la laisser vivre. Mieux valait détruire cet état que de lui imposer des conditions qui allaient préparer au peuple le plus fier de son passé d’indescriptibles souffrances. Ecraser de contributions de guerre des populations pauvres, interdire à la plus militaire des puissances allemandes de porter son armée au-delà du chiffre fixé par le vainqueur, se saisir de ses meilleures places pour en faire les points d’appui de la domination française en Europe, c’était rendre la nation aussi irréconciliable que l’était déjà son gouvernement, c’était charger de sa propre main les canons que, par une irrésistible impulsion populaire, le général Yorck pointerait un jour contre nos soldats décimés.

Détruire la monarchie prussienne n’aurait peut-être pas été impossible à cette époque, car cette création récente avait encore quelque chose d’artificiel, comme toutes les œuvres de la force et du génie. Relever la Pologne, restituer la Silésie à l’Autriche, agrandir la Saxe, constituer entre l’Elbe et le Rhin une puissance nouvelle, fut-ce même sous un prince français, rejeter enfin la maison de Hohenzollern dans les sables du brandebourg, dont deux grands règnes l’avaient fait sortir, tout cela n’aurait guère plus profondément blessé le patriotisme germanique que ne l’avait fait l’année précédente la formation de la nouvelle confédération du Rhin sous le protectorat de la France. Un pareil remaniement aurait plus violenté la politique que la nature. En le tentant, on aurait du moins désarmé la puissance destinée, aux jours du malheur, à nous porter les plus rudes coups, et l’empire aurait élevé les obstacles à la hauteur des haines. Mais Napoléon agissait de manière à faire monter de plus en plus chaque jour l’océan des vengeances sans prendre souci de lui opposer des digues. Prodigieux de prévoyance dans la guerre, sachant