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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/928

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Hollande. Ajoutons que ce système, s’il lésait des intérêts nombreux en Angleterre, n’était pas, en fin de compte, de nature à porter à la puissance britannique ce coup mortel qui seul aurait pu le couvrir par la souveraine consécration du succès. Sans parler des efforts heureux de la contrebande et des complaisances des gouvernemens, ne suffit-il pas de rappeler que la Grande-Bretagne avait vu, par l’effet même de la guerre, la puissance de ses armes et les transactions de son commerce s’étendre jusqu’aux extrémités du monde, et que les banqueroutes partielles de la Cité n’affectaient aucunement les sources de la fortune publique ? Les affaires s’y étaient déplacées sans que l’essor en fut ralenti. La guerre avait donné à l’Angleterre l’empire entier des Indes : elle était en pleine possession de toutes nos colonies comme de celles de la Hollande ; jusqu’en 1808, les colonies espagnoles lui avaient seules résisté, mais l’invasion de l’Espagne et du Portugal par nos armes lui ouvrit enfin et pour la première fois ces vastes contrées américaines, objet de longues et impuissantes convoitises. En même temps que l’empire préparait aux armes britanniques un si funeste champ de bataille en Europe, il faisait de sa propre main tomber en un seul jour des barrières séculaires, de telle sorte que la suprématie maritime de l’Angleterre se trouva consacrée par le coup terrible qu’on prétendait n’avoir frappé que pour l’anéantir. Ainsi nos malheurs allaient sortir de nos fautes. Le système politique qui conduisait, au midi de l’Europe, à l’attentat de Bayonne et à l’enlèvement de Pie VII, au nord à la réunion sans guerre ni traité de huit nouveaux départemens, portait en germe dans son sein le chancre destiné à ronger l’empire, et lui préparait en Russie une catastrophe dont la grandeur s’est élevée au niveau de toutes ses gloires.

Sur quels points d’appui entendait-on asseoir d’ailleurs cette double pensée de Tilsitt, qui se résumait dans la domination territoriale de l’Occident par la France et la ruine de l’Angleterre par un blocus européen ? Pour une telle conception, il aurait fallu des moyens d’exécution gigantesques comme elle. La première condition pour maintenir l’Occident aurait été d’obtenir du gouvernement russe, non pas une simple tolérance pour agir sans contrôle en Espagne et en Italie, mais un concours effectif qui l’engageât à jamais dans notre fortune et dans tous les hasards de notre destinée. Il fallait oser livrer l’Orient aux ardentes convoitises de la Russie, et ne pas reculer devant la possession de Constantinople par les Russes, lorsqu’on se préparait soi-même à déclarer Rome la seconde ville de l’empire français. Peut-être deux millions de soldats mis au service de ce hardi dessein auraient-ils pu triompher, pour un temps du moins, de toutes les résistances, et le monde sans espoir se serait-il reposé dans la servitude. Mais que se proposait au fond l’empereur Napoléon