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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/943

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camp mortel amenés par la haine de deux favorites de rois, accomplie avec toute la procédure et le cérémonial de l’ancienne chevalerie ; Aussi l’effet que ce duel produisit fut-il considérable non-seulement à la cour, mais dans le public.

François Ier régnait ; il aimait la duchesse d’Etampes[1]. Diane de Poitiers[2], depuis connue sous le nom de duchesse de Valentinois, avait captivé le cœur du dauphin. Rivales en beauté, en influence, ces deux femmes ambitieuses et jalouses se détestaient cordialement : Diane était toujours prête à protéger les adversaires de Mme d’Etampes ; celle-ci était non moins empressée à accueillir les ennemis de Diane. Il suffisait que la maîtresse du roi passât pour voir d’un bon œil l’amiral de Chastillon, depuis le célèbre Coligny, et les seigneurs appartenant au culte réformé, pour que la maîtresse du dauphin fut liée avec le comte d’Aumale[3], le connétable de Montmorency et le maréchal de Brissac, connus pour leur haine contre ceux de la religion.

La cour était partagée en deux camps par l’antagonisme de ces deux puissances ; il y avait assez d’attrait, il y avait assez d’intérêt à mériter les bonnes grâces de l’une ou de l’autre pour comprendre comment la jeune noblesse devait épouser chaudement leurs opinions et leurs querelles. Néanmoins les charmes et la séduction de Diane, qui régnaient sans partage sur le cœur de Henri malgré la beauté et l’esprit de la dauphine Catherine de Médicis, et qui gardèrent leur empire jusqu’à la mort de ce prince, devaient souvent l’emporter sur la femme qu’aimait François Ier, fort inconstant de sa nature et peu fidèle à sa maîtresse.

Parmi les favoris du roi et les familiers du dauphin, on remarquait à la cour deux jeunes seigneurs connus l’un et l’autre par leur bonne mine, leur bravoure à la guerre et leur amitié : c’étaient les sires de La Chasteigneraye et de Jarnac. Le premier, quoique fort aimé de François Ier, était particulièrement attaché au dauphin Henri et à la duchesse de Valentinois ; le second figurait surtout à la cour de la duchesse d’Etampes. Ce sont les héros de cette histoire ; il est nécessaire avant tout de les faire connaître.

  1. Mlle d’Heilly, Anne de Pisseleu. Malgré les maux infinis qu’elle causa à la France par sa haine pour le dauphin Henri, qu’elle chercha à contrecarrer dans toutes ses opérations militaires, la duchesse d’Etampes eut le mérite de beaucoup encourager le roi dans son goût pour les lettres. Elle était fort instruite ; on l’appelait « la plus belle des savantes et la plus savante des belles. »
  2. Veuve de Louis de Brézé, comte de Maulévrier, grand-sénéchal de Normandie. On appela, pour ce motif, Diane la grande sénéchale, jusqu’au moment où Henri II lui donna le duché de Valentinois, ce qui n’eut lieu qu’en 1548.
  3. Claude de Lorraine, tige de l’illustre maison de Guise, père de François de Guise et grand-père du Balafré.