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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/945

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les combattans perdaient leurs dagues ou couteaux d’Ecosse, qu’on plaçait dans la bottine ou gamache, le long de la jambe droite, sans les y fixer. Cette lutte de gladiateurs prenait alors quelquefois un caractère repoussant, témoin ce qui se passa à Sedan, quand le baron d’Hoguerre tenait le sire de Feudilles sous lui : il était parvenu à lui enlever son morion, dont il lui donnait de grands coups dans la figure, et l’avait blessé en plusieurs endroits ; il chercha ensuite à lui crever les yeux et à l’étouffer en lui emplissant la bouche de sable, ce qui força enfin Feudilles à crier merci[1] !

Vivonne avait usé du corps à corps dans son duel avec M. de Saint-Gouard, auquel il donna généreusement la vie. Quand deux chevaliers combattaient, le bacinet en tête, avec la visière que seuls ils avaient droit de porter[2] et devaient avoir baissée, la poitrine armée d’un épais jac[3] par-dessus le haubert, avec une rondache sur le bras gauche, il ne pouvait pas y avoir de feintes de l’épée, comme dans les rencontres ordinaires ; la parade proprement dite ne se pratiquait pas, et l’on comprend que la force du corps devait naturellement triompher, sauf le recours aux bottes secrètes que les maîtres enseignaient. Je ne parle ici que des combats à pied, car les rencontres à cheval, avec la lance, se bornaient à un choc brutal entre les deux cavaliers, qui ne devaient pas s’éviter, « ains chercher à se toucher en pleine poitrine, » soit pour se désarçonner, soit, quand le fer et le bois de lance de l’un étaient plus durs que la cuirasse de l’autre, pour se traverser de part en part, ainsi que cela était arrivé plusieurs fois[4]. Les duels à cheval, comme on voit, étaient donc moins savans encore que les duels à pied.

Le, roi François Ier appelait Vivonne son filleul ou son nourrisson, et l’aimait beaucoup, non-seulement pour son caractère aimable et ses qualités personnelles, mais aussi pour sa brillante valeur. Vivonne était compagnon des sires de Vieilleville et de Bourdillon, braves

  1. Suivant une autre chronique, le duc de Bouillon sépara finalement les combattans, par le motif que personne n’avait bien distinctement entendu que Feudilles eût demandé merci. Celui-ci, quoique vaincu, n’en continua pas moins à servir, et (soit dit en passant pour l’honneur de sa mémoire), lors du siège de Coni, commandé par le maréchal de Brissac, étant monté des premiers sur la brèche, il fut tué bravement « au plus haut. »
  2. Les écuyers n’avaient pas le droit « de porter chapel de fer avec visière. »
  3. Le jac était une espèce de casaque militaire qu’on mettait par-dessus le haubert ; il était fait d’un grand nombre de peaux de cerf appliquées les unes sur les autres, et garni intérieurement de bourre et de linge, ce qui en faisait un vêtement fort incommode, mais que l’épée ne pouvait percer.
  4. Du Villars nous apprend que le sieur de Montchal, joutant en Piémont avec le chevalier Carafa, neveu du pape Paul IV, perça d’un coup de lance la selle de guerre armée, le brassard et la cuirasse de son adversaire d’outre en outre. « Horrible coup et plus grand que celuy qu’on raconte de Pyrrhus ! »