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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/949

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faisons à Dieu prière qu’il garde le droict à qui l’Iia… Qui se plainct et justice ne trouve la doit de Dieu réquérir : que si, pour son interest, sans orgueil et maltalent, ains seulement pour son bon droict, il requiert bataille, ja ne doit redouter engin ne force, car Dieu nostre seigneur Jésus-Christ, le vrai juge, sera pour lui. »

N’était-ce pas bien le cas d’appliquer cette ordonnance dans l’espèce ? En effet, entre l’imputation de Vivonne et le démenti de Jarnac, quel tribunal pouvait prononcer ? Il n’y avait pas eu de témoins de leur colloque, car Vivonne, en bon courtisan, pour mettre le dauphin hors du débat, affirmait que c’était en parlant à lui, et seul à seul, que Jarnac avait tenu le propos qu’il niait aujourd’hui. Cependant, malgré les efforts des deux adversaires, le roi était demeuré inflexible. Un bien long espace de temps se passa durant lequel La Chasteigneraye dut beaucoup souffrir du reproche d’avoir aussi indignement compromis l’honneur de Mme de Jarnac, et Monlieu, plus encore peut-être de ne pouvoir tirer vengeance de l’accusation calomnieuse dont il était l’objet.

Les écrits contemporains ne m’ont fourni aucun détail sur la conduite de Jarnac et de sa famille, ni sur ce que lit La Chasteigneraye depuis la décision du conseil privé jusqu’à la mort de François Ier, qui eut lieu en 1547. On raconte seulement que Pierre Strozzi ne se fit pas scrupule de conseiller à La Chasteigneraye de se débarrasser de Jarnac in ogni modo (de toute manière), c’est-à-dire en l’assassinant. Il alla jusqu’à lui offrir 100,000 écus qu’il avait à la banque de Venise, où il proposait à La Chasteigneraye de se retirer, afin de laisser le temps de se passer à la colère du roi, qui serait très grande, non-seulement en raison de la « défense rompue, » mais aussi parce que Jarnac était parent et protégé de la duchesse d’Etampes. Il paraît que les sentimens religieux de Strozzi n’étaient pas plus édifians que ses principes de loyauté. Quand il fut blessé à mort devant Thionville, M. de Guise, qui se trouvait auprès de lui en ce moment, le voulait admonester pour son salut : » Quel Jésus, s’écria Strozzi, mort-dieu ! venez-vous me ramentevoir ici ? Je regnie Dieu ! ma feste est finie ! »


II

Quand Henri II fut monté sur le trône, Vivonne reproduisit incontinent la demande que le défunt roi avait opiniâtrement rejetée en menaçant les deux adversaires des peines les plus sévères, s’ils se recherchaient. Henri II, jaloux de condescendre aux désirs de Vivonne et voulant en finir aussi avec cette affaire désagréable pour lui-même, permit que le combat eût lieu.