Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/995

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On a pu remarquer le prix que la Russie mettait à concilier l’Angleterre à ses vues, et avec quel art elle cherchait à lui inspirer des préventions défavorables à la France. Aussi la diplomatie russe employa-t-elle toute son habileté à cacher au gouvernement anglais le vrai but de la mission du prince Menchikof. Elle n’épargna aucune protestation pour rassurer l’Angleterre sur ses desseins. Dans la dépêche du 14 janvier que nous avons citée, M. de Nesselrode disait que le seul objet de la Russie était « un arrangement qui puisse rendre au firman la validité qu’on lui a ôtée, rétablir à Jérusalem les deux rits sur un pied d’égalité, et concilier leurs prétentions sans léser les droits de l’un et de l’autre. » Le 5 février, en annonçant à sir Hamilton Seymour l’ambassade du prince Menchikof, M. de Nesselrode lui assurait que les instructions données au nouvel ambassadeur étaient d’une nature conciliante, et que, quoique militaire, le prince lui-même était animé des intentions les plus pacifiques[1]. Le 9 février, le comte de Nesselrode, parlant des instructions du prince Menchikof, les représentait de nouveau comme modérées : « Elles sont un peu vagues, ajoutait-il, car il est difficile de préciser jusqu’à quel point les droits assurés aux Grecs l’année dernière ont été violés. » Dans tous les cas, il n’était pas question de revenir sur les privilèges acquis aux Latins : tout ce que voulait la Russie, c’était d’obtenir pour les Grecs quelque équivalent des privilèges qu’ils avaient perdus[2]. Enfin, le 24 mars, sir Hamilton Seymour écrivait à lord Clarendon : « J’ai dit au comte de Nesselrode que je désirais fort savoir si l’arrangement des difficultés relatives aux lieux-saints terminerait toutes les discussions entre la Russie et la Porte, ou bien si le prince Menchikof avait d’autres réclamations à présenter. Le chancelier n’en savait rien : — Il reste peut-être, a-t-il dit, quelques réclamations privées, mais je n’ai pas connaissance d’autres demandes. — En un mot, pas d’autres affaires, ai-je repris (avec insistance et afin de prévenir toute méprise), que celles qui peuvent exister entre deux gouvernemens amis ? — Exactement, a répondu son excellence, les demandes qui forment les affaires courantes de toute chancellerie. — Cet aveu me parait très satisfaisant[3]. »

Ces assurances de la Russie à l’Angleterre étaient corroborées, comme lord Clarendon l’a dit à la chambre des lords, par des communications privées non moins explicites et d’une telle nature, que lord Clarendon a affirmé qu’il n’aurait pas plus songé à douter des déclarations de la Russie que de la parole d’honneur d’un de ses

  1. Sir G. H. Seymour to lord John Russell. Corresp., part, I, n° 87.
  2. Sir G. H. Seymour to the earl of Clarendon, Corresp., part, I, n" 117.
  3. Sir G. H. Seymour to the earl of Clarendon. Corresp., n° 124.