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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/185

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chose, n’est cependant pas dans ce genre d’investigations la qualité la plus nécessaire, et il peut même arriver qu’on serve mieux la science en ne s’en inquiétant point du tout. Des mobiles très inférieurs peuvent être infiniment plus utiles dans ce cas particulier que l’amour de la science ou du progrès humain, — par exemple le désir de faire fortune, l’amour des aventures ou des émotions violentes, l’instinct de la curiosité, et même ce simple appétit du nouveau qui s’empare des imaginations blasées, mais actives encore, d’une époque corrompue et fatiguée. Pour bien voir le pays que l’on visite lorsque ce pays est l’Inde ou l’ouest de l’Amérique par exemple, il n’est pas absolument nécessaire de posséder des connaissances historiques étendues, ou d’être un grand orientaliste ; il vaut souvent mieux commander tout simplement un navire, être capable de prendre part à une chasse au tigre, ou bien avoir une assez grande habitude du danger pour n’être pas effarouché par une attaque soudaine de sauvages et de bêtes féroces. Là est la source de la supériorité que possèdent les Anglais sur les autres peuples dans ce qu’on peut appeler la littérature des voyages. Leurs innombrables relations de voyage ne sont cependant rien de remarquable sous le rapport de l’art et de la composition, ni sous le rapport de la science. Rien généralement de moins savant, de plus incomplet, de plus fragmentaire que ces relations. Souvent elles ne contiennent qu’un seul fait, mais sur ce point la lumière est complète. Ces relations non plus ne sont pas signées de grands noms dans la science : ceux qui les écrivent sont des capitaines de navire, des aventuriers, des lieutenans en congé, des marchands, de jeunes lords ennuyés ; mais qui d’un savant ou d’un aventurier peut pénétrer avec le plus de sagacité les mystères d’une cour barbare, les secrets d’une tribu sauvage, bien plus la poésie d’une terre périlleuse, où le métier de contemplateur exige l’adresse d’un maître larmes et d’un chasseur consommé, la science d’équitation d’un centaure ou d’un gaucho ? Qui d’un savant ou d’un marchand est le mieux à même de pénétrer le caractère d’un peuple, ses vices et son degré de moralité ? Il y a plus : trop de scrupules de morale peuvent nuire chez l’observateur, et il y a des peuples qu’il est difficile de bien comprendre, si l’on ne met pas de côté toutes les idées de dignité et de probité qui forment le bagage d’un homme civilisé. Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles la littérature des voyages a prospéré en Angleterre plus que dans tout autre pays. Les voyageurs anglais sont moins des voyageurs, c’est-à-dire des savans, que des curieux, ou des hommes obligés par fatalité ou profession de connaître avec exactitude les peuples avec lesquels ils ont à traiter ou à commercer. Par une autre raison encore, l’Anglais mieux que les autres peu-