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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/191

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tion, cruel et rapace, qui s’était emparé si bien de l’esprit de son maître, qu’il était le véritable souverain d’Oude, et que Nussir tomba dès que le barbier eut été chassé par ordre de la compagnie. Nous regrettons que l’auteur ait cru devoir taire le nom de ce facétieux scélérat qui doit vivre aujourd’hui dans une opulence somptueuse, fruit de ses rapines et de ses crimes. Le lecteur aura une idée du génie drolatique de ce favori et de l’affection que Nussir portait à ses oncles par les deux anecdotes suivantes.

Le roi avait invité à dîner un de ses oncles, nommé Saadut. Après le dîner, les convives, échauffés par le vin, se préparaient à assister aux divertissemens ordinaires des soirées du palais. — Dansons une écossaise ! s’écria le barbier illuminé par une idée soudaine ; je danserai avec Saadut. — Bonne idée, bonne idée ! répond le roi ; que le khan danse avec mon cher oncle. Sur l’assentiment du roi, le barbier saisit Saadut, et le malheureux vieillard, à moitié ivre, tourne et tourne jusqu’à ce qu’il soit sur le point de s’évanouir. Au milieu de ce tourbillonnement, le barbier, d’un coup de main, fait tomber son turban, grave outrage chez les Indiens d’Oude et que le vieillard ressentit vivement, car, même dans l’état d’ivresse où il était, il porta la main sur son poignard. Ce geste fut aperçu parle barbier, qui, d’un mouvement rapide, jette le poignard loin de lui, détache le ceinturon du vieillard, déroule le châle qui lui ceignait le corps, puis enlève sa veste de tissu d’or ; pièce à pièce, morceau par morceau, le barbier déshabille le pauvre prince. Quelques-uns des officiers anglais, irrités de cette insolence, s’approchèrent pour protéger le vieillard. — Arrière, messieurs ! cria le roi ; je veux que la plaisanterie continue, ou, par le ciel ! je vous mets aux arrêts. — Le malheureux vieillard se tenait là, au milieu de l’appartement royal, nu comme au jour de sa naissance, jouet des esclaves et de la canaille du palais, bafoué et même frappé, dans un état d’ivresse qui ajoutait encore quelque chose de ridicule à cette scène repoussante, et cependant versant des larmes et se couvrant la figure de ses mains. Dans cet état, le roi le força de danser jusqu’à ce que ses yeux se fussent assouvis de ce honteux spectacle.

Un autre oncle de Nussir, encore plus âgé que le précédent, nommé Asoph, reçut une semblable invitation à dîner. Il ne s’y rendit pas sans hésitation ; il pressentait quelque humiliation ou quelque cruauté. — Savez-vous ce que me veut le roi ? demanda-t-il au voyageur anglais dont nous citons le récit. — Mais seulement dîner avec vous, je crois. — Hélas ! je suis vieux, ma tête est grise et mon œil éteint ; je ne puis être un compagnon pour mon neveu, qui est jeune et avide de plaisirs. « Il y avait, dit notre auteur, une grande et très pathétique expression dans ces paroles, que le vieillard prononça avec toute la musique du langage hindoustani. Je fus touché de son