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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/236

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de lui remettre, il la pria de lui laisser voir ce billet. Elle n’avait garde de le faire, parce qu’il contenait quelque plaisanterie sur sa faveur nouvelle, et pour le cacher elle le mit dans son sein. La reine en badinant lui prit les deux mains, et dit au roi de le prendre où il était. Louis XIII n’osa se servir de sa main et prit des pincettes d’argent qui étaient auprès du feu pour essayer s’il pourrait avoir ce billet ; mais elle l’avait mis trop avant, et il ne put l’atteindre. La reine la laissa aller en riant de sa peur et de celle du roi.

Si la passion du roi était innocente, elle était trop vive pour n’être pas mêlée de fréquentes et violentes jalousies. Le roi savait quelle était la conduite de Mlle de Hautefort, et que, parmi tous les jeunes seigneurs qui brillaient à la cour, elle n’en aimait aucun ; mais il aurait voulu que personne ne l’aimât, que personne ne lui parlât, que personne même ne la regardât avec quelque attention. Souvent il lui disait qu’il serait mort de déplaisir si son père Henri le Grand eût été encore en vie, parce qu’assurément il eût été amoureux d’elle. Ces bizarres jalousies, ces longues et fatigantes assiduités pesaient quelquefois un peu à la jeune fille, et, avec son indépendance et sa fierté, elle le témoignait. De là des démêlés assez souvent orageux, suivis de raccommodemens qui ne duraient guère. Dès qu’il y avait entre eux quelque brouillerie, tout s’en ressentait, les divertissemens de la cour étaient suspendus, et si le roi venait le soir chez la reine, il s’asseyait dans un coin sans dire un mot, et sans que personne osât lui parler. « C’étoit, dit Mademoiselle, une mélancolie qui refroidissoit tout le monde, et, pendant ce chagrin, le roi passoit la plus grande partie du jour à écrire ce qu’il avoit dit à Mlle de Haute-fort et ce qu’elle lui avoit répondu : chose si véritable qu’après sa mort on a trouvé dans sa cassette de grands procès-verbaux de tous les démêlés qu’il avoit eus avec ses maîtresses, à la louange desquelles on peut dire aussi bien qu’à la sienne qu’il n’en a jamais aimé que de très vertueuses. » Mme de Motteville déclare fort nettement que Mlle de Hautefort, tout en étant sensible aux hommages de Louis XIII, n’avait aucun goût pour lui, et qu’elle le maltraitait autant qu’on peut maltraiter un roi, en sorte qu’il était, dit-elle, « malheureux de toutes les manières, car il n’aimoit pas la reine, et il étoit le martyr de Mlle de Hautefort, qu’il aimoit malgré lui. Il avoit quelque scrupule de l’attachement qu’il avoit pour elle, et il ne s’aimoit pas lui-même. Parmi tant de sombres vapeurs et de fâcheuses fantaisies, il sembloit qu’une belle passion ne pouvoit avoir de place dans son cœur. Elle n’y étoit pas aussi à la mode des autres hommes qui en font leur plaisir, car cette âme, accoutumée à l’amertume, n’avoit de la tendresse que pour sentir davantage ses peines. »

Le sujet ordinaire des querelles que faisait le roi à Mlle de Hautefort