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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/245

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que la reine demande ; il n’y a point de remède ; je ne fais que sortir de dessus l’échafaud, je vais m’y remettre. » Mlle de Hautefort fut assez heureuse pour n’être pas plus reconnue en rentrant au Louvre que le matin lorsqu’elle en était sortie. Elle retrouva dans un petit endroit auprès de sa chambre la fille qu’elle y avait mise en sentinelle avant de partir, afin que, si le roi, passant près de là pour aller à la messe, demandait de ses nouvelles, on ne manquât pas de lui dire que, s’étant trouvée un peu mal la nuit, elle reposait encore ; mais, quand elle fut dans sa chambre, et qu’elle réfléchit à l’aventure qu’elle venait de courir, elle en fut épouvantée : la jeune fille modeste remplaça l’héroïne, et elle tomba à genoux pour remercier Dieu de l’avoir conduite et protégée.

Le chevalier de Jars fit des merveilles. Sa chambre était de quatre étages au-dessus du cachot de La Porte ; il perça son plancher, et fit passer la lettre de la reine au bout d’une corde, avec prière au prisonnier de la seconde chambre d’en faire autant, puis successivement jusqu’à la dernière où était La Porte, en recommandant bien le plus profond secret. C’est ainsi que la lettre de la reine arriva parfaitement intacte aux mains du fidèle valet de chambre ; chose admirable, qu’une manœuvre si difficile, si compliquée, et qui dura plusieurs nuits, se soit accomplie sans qu’aucun des geôliers ait pu s’en apercevoir, et sans qu’aucun de ceux qui y prirent part l’ait compromise par la moindre indiscrétion, en sorte que ce prisonnier si bien gardé, dans un cachot et derrière des portes de fer, reçut une instruction détaillée qui le mit en état de se justifier lui-même et de justifier sa maîtresse. La fermeté qu’avait d’abord montrée La Porte eût tourné contre la reine, si à la fin elle n’eût été éclairée et guidée par la lettre qui parvint jusqu’à lui, grâce à la courageuse industrie du chevalier de Jars, dont le dévouement était dû à celui de Mlle de Hautefort.

Dès que celle-ci avait espéré le succès, elle s’était empressée d’envoyer à Mme de Chevreuse, selon ce qui avait été convenu, des Heures à la couleur favorable qui devait la rassurer et la retenir. Se trompa-t-elle sur la couleur, ou Mme de Chevreuse s’y méprit-elle elle-même ? À tort ou à raison, Mme de Chevreuse entendit que tout allait mal, et, comme ce qu’elle redoutait le plus au monde était la prison, elle se hâta de fuir déguisée en homme, et alla chercher un asile en Espagne, où le frère d’Anne d’Autriche l’accueillit presque comme autrefois, dans son premier exil, l’avait reçue le duc de Lorraine. Cet événement, arrivé un peu avant les derniers interrogatoires de La Porte, ranima et porta à leur comble l’irritation et les soupçons de Richelieu. On redoubla de sévérité envers la reine ; La Rochefoucauld, que Mme de Chevreuse avait vu un moment en passant à Verteil