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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/362

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quoi elle était couchée, et sur la réponse qu’on lui fit qu’elle avait été un peu malade, elle déclara que c’était bien fini, et qu’elle voulait se lever. Sa mère se sauva en courant dans une chambre voisine et tomba à genoux ; elle pleurait à chaudes larmes et criait que sa pauvre fille était folle.

Depuis cette malheureuse journée, Thérèse n’avait presque jamais parlé de Rodolphe ; il semblait qu’elle eût entièrement perdu l’usage de la mémoire ; le coup violent qu’elle avait reçu avait produit comme un vide dans une case de son cerveau. Cependant, en dehors de tout ce qui se rattachait au souvenir de son fiancé, elle était restée à peu près la même. On remarqua seulement que Thérèse se plaignait quelquefois d’une douleur aiguë à la tête. Elle avait toujours cette humeur égale qu’on lui avait connue au temps de son bonheur ; mais elle n’était plus gaie, et son penchant à la rêverie inclinait vers une sorte de mélancolie dont rien ne la pouvait tirer. Mme van B…, désespérée de l’état de sa fille, tomba dans une maladie de langueur qui fit de rapides progrès, et mourut en se reprochant d’avoir été la cause de cette catastrophe par une soumission trop absolue aux ordres de son mari.

Avant d’expirer, la pauvre femme avait appelé auprès d’elle une de ses parentes, Mme de Lubner, à laquelle elle avait demandé comme une grâce de ne jamais abandonner Thérèse, quoi qu’il arrivât. Mme de Lubner l’avait solennellement promis, et depuis ce moment la vieille dame et sa pupille vivaient ensemble dans cette même maison où la nouvelle de la mort de Rodolphe avait porté un si grand trouble.

La fin de sa mère ne parut pas produire une grande impression sur l’esprit de Thérèse. Elle pleura beaucoup le lendemain quand on s’opposa à ce qu’elle entrât dans la chambre où Mme van B… avait rendu le dernier soupir, se plaignant que tour à tour on la séparât de tous ceux qu’elle aimait. Elle en parla deux ou trois fois les jours suivans. On ne savait que lui dire, dans la crainte que la découverte de la vérité n’agît sur elle comme un coup de foudre : mais enfin, sur l’observation d’un vieux serviteur qui lui dit en balbutiant que sa mère était partie pour le ciel : — Ah ! oui, dit-elle : elle voyage comme Rodolphe. — Ce fut tout, et elle n’en demanda plus de nouvelles.

Cet amour du merveilleux, qui avait toujours paru chez Thérèse, se manifestait de plus en plus. On l’entendait quelquefois causer toute seule dans le jardin, comme si une personne invisible eût été là pour lui répondre ; elle parlait bas, élevait la voix, chantait et agissait en toute chose comme une personne qui aurait été sous l’empire d’une hallucination. Ce fut alors qu’elle contracta l’habitude de s’habiller de blanc, avec une profusion singulière de rubans bleus qu’elle