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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/376

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Un autre jour qu’ils étaient ensemble dans le jardin, Thérèse prit le bras de Gérard et fit quelques tours d’allée. Une teinte rose adoucissait la pâleur de ses joues, son front avait retrouvé toutes les grâces de la jeunesse et de la santé ; elle ne disait rien, et cueillait, chemin faisant, des fleurs à tous les buissons. Après qu’elle eut fait un bouquet, elle soupira :

— Que j’en ai déjà cueilli de ces fleurs ! dit-elle… Celles-ci ne sont plus celles que j’aimais hier, et les fleurs de demain ne seront plus celles que j’aime aujourd’hui !

Ses yeux rêveurs regardèrent longtemps le bouquet, comme si elle eût voulu lui demander le secret des pensées qui l’obsédaient ; puis elle s’arrêta, et se tournant vers Gérard :

— Que deviennent les fleurs de l’an dernier ? lui demanda-t-elle.

— Elles meurent, répondit Gérard.

Thérèse attacha sur lui ses yeux tendres et voilés.

— Ah ! oui, reprit-elle, elles s’en vont ; ce ne sont plus les mêmes qui reviennent, et ce sont toujours des fleurs.

Ses regards brillèrent tout à coup ; elle prit la main de Gérard et la serra. — C’est comme vous ! s’écria-t-elle, c’est vous que j’aime, et ce n’est pas vous que je pleure !… C’est le même amour, et ce n’est plus la même fleur !

Gérard ne pensait plus à Paris ; le monde n’avait pas d’autres limites pour lui que les frontières du petit jardin où il rencontrait Thérèse. Quand il se rappelait le jour où elle avait failli mourir, il frissonnait encore et s’étonnait d’avoir pu, par son indifférence et son égoïsme, faire souffrir une aussi aimable fille. Il se la représentait heureuse et gaie, dans quelque coin de terre, avec lui, et se promettait bien de ne plus écouter jamais que la voix de son cœur et non pas celle de la raison. Il était assez riche d’ailleurs pour qu’on ne l’accusât pas de chercher une satisfaction d’intérêt dans son mariage avec Thérèse. Si donc elle l’aimait, pourquoi sacrifierait-il son bonheur à de misérables considérations ? Mais la question était justement qu’elle l’aimât et qu’elle ne crût pas épouser Rodolphe en épousant Gérard.

Thérèse était comme un voyageur qui suit dans l’ombre un chemin au bout duquel s’ouvre un précipice. Le précipice franchi, c’est le pays de Chanaan ; mais un faux pas peut le jeter au fond du gouffre. Thérèse franchirait-elle ce précipice ?

Un soir que Thérèse était assise dans le jardin, traçant d’une main distraite des lignes sur le sable, Gérard lui proposa de faire une promenade dans la campagne. Elle se leva et lui prit le bras.

— Bien volontiers, dit-elle, j’ai comme la fièvre ; le grand air la dissipera.