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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/39

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LA PETITE COMTESSE.

— J’en suis persuadé, madame. Sa coquetterie banale en est une preuve suffisante. Je suis même prêt à jurer que les entraînemens de l’imagination ou de la passion sont complètement étrangers à ses erreurs, qui de la sorte demeurent sans excuse.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Mme de Malouet en joignant les mains, taisez-vous donc ! c’est une pauvre enfant abandonnée !… Je la connais mieux que vous… je vous atteste que, sous son apparence beaucoup trop légère, j’en conviens, elle a dans le fond autant de cœur que d’esprit.

— C’est précisément ce que je pense, madame ; autant de l’un que de l’autre.

— Ah ! c’est vraiment insupportable ! murmura Mme de Malouet en laissant retomber ses bras comme désespérée. — Au même instant je vis s’agiter violemment le rideau qui couvrait à demi la porte près de laquelle nous étions assis, et la petite comtesse, quittant la cachette où l’avait confinée l’exigence de je ne sais quel jeu, se montra un moment à nos yeux dans la baie de la porte, et alla rejoindre le groupe des joueurs qui se tenait dans un petit salon voisin. Je regardai Mme de Malouet : — Comment ! elle était là !

— Parfaitement. Elle nous entendait, et de plus elle nous voyait. J’ai eu beau multiplier les signes, vous étiez parti !

Je demeurai un peu confus. Je regrettais la dureté de mes paroles, car, en attaquant si violemment cette jeune femme, j’avais cédé à l’entraînement de la controverse plutôt qu’à un sentiment d’animadversion sérieuse. Au fond, elle m’est indifférente, mais c’est un peu trop de l’entendre vanter, — Et maintenant que dois-je faire ? dis-je à Mme de Malouet. Elle réfléchit un moment, et me répondit, en haussant légèrement les épaules : — Ma foi, rien : c’est ce qu’il y a de mieux.

Le moindre souffle fait déborder une coupe pleine : c’est ainsi que le petit désagrément de cette scène semble avoir exaspéré le sentiment d’ennui qui ne me quitte guère depuis mon arrivée dans ce lieu de plaisance. Cette gaieté continue, ce mouvement convulsif, ces courses, ces danses, ces dîners, cette allégresse sans trêve et cet éternel bruit de fête m’importunent jusqu’au dégoût. Je regrette amèrement le temps que j’ai perdu à des lectures et à des recherches qui ne concernent en rien ma mission officielle, et n’en ont guère avancé le terme ; je regrette les engagemens que les aimables instances de mes hôtes ont arrachés à ma faiblesse ; je regrette ma vallée de Tempé ; par-dessus tout, Paul, je te regrette. Il y a certainement dans ce petit centre social assez d’esprits distingués et bienveillans pour former les élémens des relations les plus agréables et même les plus élevées ; mais ces élémens se trouvent noyés dans la cohue mon-