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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/390

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de nos jours qu’un monument tout romain ait la puissance d’émouvoir.

Il reste encore aujourd’hui à écrire ou plutôt à retrouver l’histoire des expéditions et des colonies de Trajan dans la Dacie. Cela n’est point impossible, quoique l’antiquité ne nous ait laissé qu’un petit nombre d’indications éparses chez les écrivains[1]. En complétant ces fragmens par les médailles, les médailles par les bas-reliefs de la colonne Trajane, et en comparant les uns et les autres aux calculs des géographes, voici, je pense, ce que l’on peut dire de plus précis sur ce sujet.

Les Daces avaient plusieurs fois battu et refoulé les légions romaines sous Domitien ; ils avaient même imposé un tribut à l’empire, premier exemple qui ne sera pas perdu pour les Barbares. Une chose autorise à penser que la nation dace était moins grossière qu’on ne la représente : c’est qu’elle avait exigé par ce tribut qu’on lui remît un certain nombre d’ouvriers et d’artistes pour l’instruire dans les arts de la paix et de la guerre. Les historiens anciens, afin de déguiser la défaite des Romains, ont recours à une distinction très subtile ; ils disent que dans ces guerres l’empereur fut vaincu et non le peuple. Trajan se proposa de venger l’un et l’autre : pour mettre fin à des exigences chaque jour croissantes (car déjà les Daces réclamaient le donatif), il fit une expédition contre eux et leur roi Décébale. La première a duré trois ans ; les médailles frappées au moment du départ ne laissent aucune incertitude sur les dates. Trajan était empereur depuis quatre années, consul (si ce nom signifiait encore quelque chose) pour la quatrième fois, tribun du peuple pour la cinquième.

On sait quelles légions firent ces campagnes ; c’était la première ou la Minervienne, que l’on appelait aussi la Secourable, la Pieuse, la Fidèle, la Trajane ; c’était la cinquième ou la Macédonique, la treizième ou la Jumelle, la septième ou la Claudienne. On a voulu y joindre la sixième, qu’on ramène de Bretagne, puis de Judée, mais sans preuves irrécusables. À ces quatre ou cinq légions, ajoutez dix cohortes prétoriennes qui, avec les auxiliaires, Bataves et Germains, composaient une armée d’au moins soixante mille hommes.

Au printemps de l’an 101 de notre ère, Trajan, avec toutes ces forces, passa le Danube sur deux ponts de bateaux qu’il fit jeter là où le lit du fleuve est le plus étroit, à Gradisca et Bosisiena, aux frontières du Banat et de la Transylvanie. Sur les deux rives, il fortifia les deux têtes de pont par de solides travaux dont les restes se

  1. Dio. Cassius, LXVIII. — D’Anville, Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XXVIII, p. 30. — Mannert., Res Trajani Imperatoris ad Danubium gestœ.