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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/489

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— Je ne plaisante pas, ni lui non plus. Ton mariage est arrêté, et tu seras sa femme dans trois semaines.

— Comme vous voudrez, mon père. Irai-je toujours dans la montagne avec le troupeau ?

— Jusqu’au jour de ton mariage assurément, mais après, non. Tu habiteras le harem de son excellence, et tu n’en sortiras jamais. Oh ! tu auras le temps d’engraisser ; tu seras bien heureuse, tu n’auras rien à faire.

— Pardon, mon père, si je vous parle encore de Saed. Je ne songe plus à l’épouser, puisque vous en avez décidé autrement ; mais comment m’y prendrai-je pour le voir et causer avec lui, si je ne dois pas quitter le harem, où il n’entrera pas sans doute ?

— Mais tu n’as que faire de Saed ; tu ne dois plus jamais ni le voir, ni lui parler, ni songer à lui. Tu ne verras plus d’autre homme que ton mari. Tu sais bien que cela se passe ainsi dans tous les pays du monde à l’égard des femmes mariées.

— Mais Saed est un enfant, mon père ; nous sommes accoutumés l’un à l’autre, et nous ne nous résignerons jamais à nous séparer ainsi, lui surtout.

— Je me soucie bien de sa résignation ! Ce qui m’importe, c’est que tu ne fasses pas de sottises et que tu comprennes bien tes devoirs. Ton mari n’est pas un modèle de patience, tiens-toi-le pour dit, et si tu le fâches, tu t’en repentiras. Saed aussi fera bien de ne pas se trouver sur son chemin.

— Mais qu’est-ce que cela fait à Hamid-Bey que j’aille dans la montagne avec Saed ? J’y suis bien allée jusqu’ici, et vous n’y avez rien trouvé à redire. Pourquoi le bey ne ferait —il pas de même ? Je resterai à la maison quand il y aura de l’ouvrage.

— Allons, je vois que tu as pris de mauvaises habitudes. Si tu avais vécu plus souvent à la maison, tu ne serais pas si ignorante, et tu ne dirais pas tant de sottises. Sache donc qu’en prenant un mari une jeune fille prend un maître, qu’elle doit lui obéir en toute chose, le servir de même, ne voir que lui, n’être vue que de lui, ne parler et ne penser qu’à lui. La femme d’un bey surtout ne sort du harem que huit ou dix fois par an pour aller au bain, et encore sort-elle le visage couvert et entourée de gardes qui ne permettent à personne de l’approcher ni de la regarder. Et si la femme mariée manque à quelques-uns de ses devoirs, il lui arrive malheur.

— Et que lui arrive-t-il, mon père ?

— Ah ! il lui arrive, par exemple, qu’on n’entend plus parler d’elle. Je me souviens, lorsque j’étais encore enfant, que j’admirais de loin les esclaves noirs et tout le cortège qui suivait au bain la femme d’Osman-Bey, père d’Haraid-Bey. On la disait fort belle, et rien