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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/528

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le père de Rhodes penche-t-il décidément en faveur des médecins de Cochinchine, qui, avec leurs médicamens simples et économiques, « chassent la fièvre pour le moins aussi souvent que l’on fait en Europe avec tant de purgations, de lavemens et de saignées. » En comparant les renseignemens fournis par les deux missionnaires à deux siècles de distance, je remarque que la médecine chinoise, telle que l’a expérimentée M. Huc, ne diffère point de la médecine cochinchinoise qui excitait à un si haut degré l’admiration du père de Rhodes. Il y a même une autre similitude à signaler : c’est l’égale résistance opposée par les médecins des deux pays à toute idée de conversion. Enfin, si le père Huc indique les traitemens employés avec succès en Chine contre la rage et la surdité, le père de Rhodes nous donne de son côté une recette cochinchinoise contre le mal de mer : « Il faut prendre un de ces poissons qui ont été dévorés et qui sont dans le ventre des autres poissons, le bien rôtir, y mettre un peu de poivre et le prendre en entrant dans le navire ; cela donne tant de vigueur à l’estomac qu’il va sur la mer sans être ébranlé. » Le missionnaire ajoute que ce remède fit merveille sur lui et le délivra à tout jamais du mal de mer. On peut en essayer.

Le père de Rhodes était d’ailleurs, on doit le reconnaître, fort intéressé dans la question. Outre son voyage en Chine et ses cinq voyages en Cochinchine, il visita les îles Philippines et opéra son retour en Europe par Malacca, Jacatra (aujourd’hui Batavia), Macassar, Surate et Ormuz, où il prit terre pour traverser la Perse, l’Arménie et l’Anatolie ; il s’embarqua à Smyrne pour Rome. Pour un homme qui s’était condamné à voyager sur tant d’océans, l’exemption du mal de mer avait certes un grand prix. Je voudrais pouvoir suivre cet intrépide missionnaire dans ses pérégrinations du retour, raconter sa captivité à Jacatra, « les discours qu’il eut avec le gouverneur du royaume de Macassar, » son séjour à Aspaan (Ispahan), « une des plus grandes et des plus belles villes du monde, » son passage à travers les Turcs qui tremblaient au seul nom de Venise, enfin sa rentrée dans Rome le 27 juin 1647 (nous l’avons vu partir en 1619), après avoir affronté, comme il le dit lui-même, « tant de dangers par terre et par mer, tant de tempêtes, tant de naufrages, tant de prisons, tant de lieux déserts, tant de barbares, tant de païens, tant d’hérétiques et tant de Turcs. » De cette dernière partie de son voyage, il résulte avec la dernière évidence qu’au xviie siècle les peuples de l’Asie étaient plus puissans, plus riches, plus civilisés qu’ils ne le sont aujourd’hui, que la foi catholique comptait dans les îles de l’Inde et dans l’Asie centrale des établissemens nombreux et florissans, enfin que le nom français, porté là-bas par les missionnaires et par quelques aventuriers, y était grandement honoré. À ces