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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/577

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ces étalages : j’en ai pour garant la manière grave, idéale, de celui que l’antiquité proclamait digne de créer des dieux. L’or et l’ivoire n’étaient point à ses yeux des trésors dont il fallût multiplier les éblouissemens, c’étaient les plus belles substances où pût s’incarner la pensée humaine. Pour la multitude, leur poids dans la balance était une pieuse satisfaction ; pour l’artiste, elles n’avaient que la valeur que son génie leur donnait. Assurément l’ivoire ne veut point être travaillé comme le marbre, l’or offre des ressources que n’offrent point les autres métaux ; mais la science qui met en un jeu favorable ces matières précieuses est une science toute technique. Quant à la pensée qui leur donne la vie, elle demeure ce qu’elle eût été sous le bronze ou sous la pierre, et, lorsque c’est la pensée du maître athénien, elle demeure simple et sublime.

Voilà pourquoi je ne saurais me figurer sa Minerve semblable aux madones d’Italie, accablée d’or et de joyaux. Voilà pourquoi le style d’Aspasius me paraît tout ce qu’on peut concevoir de plus contraire au style de Phidias. J’examinais récemment dans le cabinet impérial de Vienne ce beau jaspe, où un talent plein de finesse a multiplié les difficultés à plaisir. C’est un prodige de gravure sur pierre, et les connaisseurs ne sauraient trop le vanter à ce titre ; mais y voir un chef-d’œuvre de sculpture, y reconnaître les caractères du grand art, et surtout un reflet du siècle de Périclès dérobé par l’imitation, cela m’est impossible. Loin de diminuer le mérite d’Aspasius, je le rehausse en considérant l’intaille qu’il a signée de son nom comme une création originale, et non comme une copie. Seulement il est de son temps, et plus il fait paraître une habileté consommée, plus il nous avertit qu’après plusieurs siècles l’art grec a été entraîné bien loin de ses divines sources, si loin qu’on a pu l’appeler l’art alexandrin et l’art romain. Alors les raffinemens d’exécution étaient parvenus à un degré à peine croyable ; la glyptique notamment fournissait aux rois, et plus tard aux empereurs, des œuvres d’une délicatesse, d’une subtilité telles que ni Polycrate, ni Cimon, ni Périclès n’en avaient possédé d’aussi remarquables ; mais la largeur du style, mais le sentiment grandiose, mais le modelé puissant, mais ce souffle propre aux époques privilégiées et qui anime tout ce qu’elles produisent, que sont-ils devenus ? Je ne crains point de paraître un barbare si j’avoue que les camées de Paris et de Vienne, aussi bien que les intailles d’Aulus et de Dioscoride, me paraissent bien humbles auprès d’un bas-relief du Parthénon. Cependant ils charment davantage les connaisseurs par la rareté de la matière, par le travail précieux, par l’intérêt d’un sujet circonscrit, par la finesse des contours et la pureté étudiée des lignes. On les manie, on les regarde à la loupe, on les compare ; ils prêtent à de savantes dissertations ; ils se gravent mieux